Temps verbaux: (I) les temps simples

 >Page pers.    Denis Apothéloz
(03-2021)

Pour citer cette notice:
Apothéloz (D.), 2021, "Les temps verbaux", in Encyclopédie grammaticale du français,
en ligne: encyclogram.fr

 


1. Avant-propos.


Cette notice, consacrée aux temps simples, va de pair avec une autre notice qui porte sur les temps composés. La numérotation des paragraphes leur est commune, ainsi que le contenu des sections 2, 5 et 6.

Ces deux notices, quoique consultables séparément, forment un tout qui a pour objectif de dresser l’état actuel des connaissances concernant les temps verbaux du français, du point de vue de leur fonctionnement et de leurs propriétés sémantiques au sens large. Ce travail ne traite que les temps de l’indicatif, le subjonctif faisant l’objet d’une notice spécifique. La morphologie n’y est abordée que très marginalement, par exemple dans le cas des temps composés pour montrer que leur sémantique est – au moins partiellement – morphologiquement motivée.

Trois parties composent la présente notice.

– La première (§ 2) est un exposé général sur la notion de temps verbal et la représentation du temps dans la langue et le discours. Nous y présentons également un ensemble de concepts, un « modèle » dont la connaissance est indispensable pour la compréhension de la suite. Cette partie se termine par une liste de quelques références jugées particulièrement importantes dans le domaine.

– La deuxième partie (§ 3) est une présentation systématique des temps simples. Chaque présentation d’un temps verbal est suivie d’une liste de monographies et numéros de revues consacrés à ce temps. Cette partie de termine par une brève conclusion.

– La troisième partie (§ 6) est exclusivement bibliographique. Elle comporte trois listes de travaux : une liste de travaux contrastifs ou typologiques incluant le français ; la liste complète des travaux cités dans les deux notices EGF ; et une liste de numéros de revues consacrés à l’aspectologie et à la sémantique verbale.

Une partie des exemples discutés ici a été obtenue grâce à la base de données textuelles FRANTEXT, hébergée au laboratoire ATILF à Nancy (https://www.frantext.fr/) [Note 1]

 


2. Temps, aspect et temps verbaux


En français, le mot « temps » est polysémique. Mis à part le temps des météorologues, qui ne nous intéresse pas ici, il désigne aussi bien la dimension temporelle (le temps que mesurent les horloges, le temps que les physiciens introduisent dans leurs équations), qu’un ensemble de formes grammaticales (les temps verbaux, comme l’Imparfait ou le Passé composé). Beaucoup de langues possèdent des mots différents pour désigner ces deux réalités. Il en va ainsi de l’allemand, qui désigne par Zeit la dimension temporelle et par Tempus les temps verbaux, ou de l’anglais (respectivement time et tense). En français, certains linguistes utilisent, à la suite de Damourette et Pichon (1911-1936), l’expression de « tiroir verbal », ou simplement de « tiroir », pour désigner les temps verbaux. On utilisera ici indifféremment les expressions de « temps verbal » ou de « temps grammatical ».

Ce n’est bien sûr pas un hasard si le mot temps est utilisé pour désigner, par métonymie, les temps verbaux. Les ressources grammaticales que recouvre la notion de temps verbal ont toujours été spontanément associées à l’expression de la dimension temporelle, qu’il s’agisse de localisation temporelle ou d’expression de la durée. Néanmoins, comme on va le voir, cette association est parfois contestée.

Afin d’éviter certaines confusions, par exemple entre le présent comme moment de l’énonciation et le Présent comme temps grammatical, nous écrirons systématiquement les noms des temps verbaux avec une initiale capitale (majuscule), comme l’a fait Weinrich (1973) dans son ouvrage sur le temps.


2.1. La notion de temps verbal

La notion de temps verbal est plus complexe qu’il n’y paraît. De façon générale et en première approximation, s’agissant du français, on peut considérer que les temps verbaux sont l’expression de la localisation temporelle des procès par des moyens grammaticaux (VS lexicaux), autrement dit par des morphèmes liés [Note 2] . Ces morphèmes sont appelés « grammèmes ». Nous utiliserons nous-mêmes ici des expressions comme « grammème d’Imparfait », « grammème de Futur », « grammème de Passé composé », etc. Comme tout morphème, un grammème de temps verbal associe une forme et une signification.

Un temps verbal ne se rencontre donc jamais seul ; il n’est observable qu’en association avec un verbe. Ce point est particulièrement important lorsqu’on se donne pour objectif d’étudier la signification des temps verbaux. Nous ne sommes jamais mis en présence de formes comme –ait ([ɛ]) ou –i– ([j]), grammèmes de l’Imparfait (3e, 4e et 5e pers.), mais seulement de formes comme il mangeait, nous dormions ou vous pensiez. Or, ces verbes possèdent eux-mêmes leurs propres caractéristiques temporelles et aspectuelles, qui s’associent à celles du grammème et interagissent avec elles de façon complexe [Note 3] . Il en résulte que le verbe lexical est le premier élément formant le contexte du grammème de temps verbal. L’étude de la signification des temps verbaux suppose donc un effort d’abstraction et une certaine prudence méthodologique.

En morphologie flexionnelle du français, l’une des particularités des grammèmes est qu’il est souvent difficile voire impossible de les singulariser matériellement. Cela tient à deux phénomènes : d’une part au fait que certaines formes amalgament plusieurs grammèmes sans qu’il soit possible d’attribuer à chacun d’eux un segment phonologique propre (de la même manière que du amalgame de et le) ; d’autre part, au fait que la morphologie verbale présente de nombreuses allomorphies. Il en va ainsi par exemple dans une forme comme [iʁjɔ̃] (irions). Mais le système des temps verbaux n’en permet pas moins de distinguer, dans cette forme, un lexème (le verbe aller), et deux grammèmes, l’un de Conditionnel et l’autre de 1ère pers. du pluriel. Une analyse possible de cette forme est la suivante : [i-] est un allomorphe du radical d’aller, plus précisément une forme supplétive, [-ʁj-] est le grammème de Conditionnel, et [-ɔ̃] est le grammème de 1ère pers. du pluriel [Note 4].

On associe généralement les temps verbaux à deux fonctions principales : la localisation temporelle des procès et la représentation de ceux-ci (au sens de « donner une certaine représentation »). La première fonction correspond à ce qu’on appelle en général le « temps », la seconde à l’« aspect ».


2.2. La localisation temporelle et la notion d’époque

La définition des temps verbaux par la fonction de localisation temporelle, bien que généralement acceptée, a donné lieu à diverses controverses, voire à une mise en cause plus ou moins radicale. Si cette mise en cause peut s’expliquer pour certaines langues, en ce qui concerne le français elle prête davantage à discussion et paraît aller contre l’intuition, du moins dans sa version la plus radicale. On se limitera ici à quelques considérations générales. Pour une discussion de cette question, voir par exemple : Barceló et Bres (2006, en particulier les chapitres sur l’Imparfait et le Présent), ainsi que Vetters (1996, 2017).

La conception selon laquelle l’une des fonctions des temps verbaux est la localisation temporelle va généralement de pair avec l’observation que les temps verbaux, du moins certains d’entre eux, ont un fonctionnement déictique et localisent par conséquent le procès que désigne le verbe par rapport au moment de l’énonciation. Il en découle logiquement trois époques, selon que le procès est localisé comme concomitant de l’énonciation (présent), antérieur à l’énonciation (passé) ou postérieur à celle-ci (futur). Cette conception, qui remonte au moins à Aristote, suppose que les notions de « passé », « présent » et « futur » font partie de la signification en langue des temps verbaux. C’est précisément cette idée que certains linguistes ont mise en cause. Un argument fréquemment évoqué est que la plupart des temps verbaux ont des emplois dans lesquels la localisation temporelle du procès n’est (apparemment) pas en accord avec le temps verbal choisi. Il peut ainsi y avoir :

– utilisation d’un temps réputé passé pour désigner un procès apparemment présent (1) ou à venir (2) :

(1)  a. À ce propos, je voulais vous demander s’il convient d’ouvrir un nouveau dossier, car il vient d’arriver une lettre qui n’est pas de vos correspondants habituels. (M. Aymé, 2002)

b. Pauvre Mercier. Si tu savais comment mes sœurs parlent de toi... quand elles en parlent. (A. Gavalda, 1999)

(2)  a. J’ai terminé dans cinq minutes.

b. Il eut un sourire lamentable, un de ces sourires dont on voile les plus horribles souffrances, mais il répondit d’un ton caressant et navré : – « Si tu étais bien gentille nous resterions tous les deux. » Elle fit « non » de la tête sans ouvrir la bouche. (G. de Maupassant, 1891)

– utilisation d’un temps réputé présent pour désigner un procès apparemment passé (3) ou à venir (4) :

(3)  a. Son enfance va être on ne peut plus alsacienne, je veux dire étrangement divisée. Dès l’âge de sept ans, il mène une triple vie. Son père l’appelle Joseph (en français). Son maître prononce Yôsef (en allemand). (J. Egen, 1979)

b. Tandis que je me pavanais dans cette idée, j’entendis peu loin de moi un certain cliquetis que je crus reconnaître ; j’écoute : le même bruit se répète et se multiplie. Surpris et curieux je me lève, je perce à travers un fourré de broussailles du côté d’où venait le bruit, et dans une combe à vingt pas du lieu même où je croyais être parvenu premier j’aperçois une manufacture de bas. (J.-J. Rousseau, Les Rêveries du promeneur solitaire, 7e Promenade)

(4)  a. Nous faisons nos paquets, et nous partons demain sans savoir si nous trouverons un gîte à La Châtre. (G. Sand, 1871)

b. Il y a des élections législatives et régionales dimanche prochain. (J.-L. Lagarce, 2007)

– utilisation d’un temps réputé futur pour désigner un procès apparemment passé (5) ou présent (6) :

(5)  a.  Il est à remarquer en outre que le Languedoc, les Cévennes, âpres régions où le protestantisme trouvera plus tard ses pasteurs du désert, furent le foyer de la secte albigeoise. Elle se développa, avec la tolérance de la féodalité locale, jusqu’au jour où la croisade fut prêchée à travers la France [...]. (J. Bainville, 1924)

b.  Puisque je suis là, autant en profiter. Je ne me serai au moins pas déplacé pour rien. (J.L. Benoziglio, 1980)

(6)  a.  On chante là-bas. Qui est-ce ? Allons ! Ce sera quelque laboureur qui fait route vers son travail. (L. de Vega, 1957).

b.  Victoire quitta Luna-Park. Derrière son genou, le long du mollet, un filet de sang. Elle se sera écorchée, pensa Raymond. (B. Poirot-Delpèche, 1984)

De tels exemples soulèvent au moins deux questions. La première est évidemment celle de la valeur temporelle des temps verbaux, plus exactement la question de savoir si leur signification comporte en langue des informations d’époque stables telles que « passé », « présent » ou « futur ». La seconde question, non moins complexe, est celle de savoir ce que localisent ou peuvent localiser au juste les temps verbaux (leur incidence, leur portée). Cette seconde question sera abordée plus loin et nous conduira à modifier la définition selon laquelle l’une des fonctions des temps verbaux est de localiser des procès dans le temps.

Revenons à la valeur d’époque. Cette valeur a tout particulièrement été discutée à propos du Présent et de l’Imparfait. Les arguments avancés sont principalement de deux types : morphologiques et sémantiques.

L’argument morphologique a été utilisé pour le Présent. Ce temps verbal a en effet la particularité formelle de n’être signalé par aucun grammème. Une expression comme nous mangeons ne comporte formellement que deux sources d’informations (deux morphèmes) : mange, qui représente le lexème verbal, et le suffixe flexionnel –ons, qui réplique l’information fournie par le pronom nous et représente la catégorie grammaticale « 1ère pers. du pl. ». Mais aucun grammème ne représente le temps verbal dans nous mangeons. Cette observation a conduit certains linguistes à considérer que ce qu’on appelle le Présent est en réalité un temps verbal neutre en terme d’époque (e.g. Serbat 1980, 1988, Touratier 1996, Mellet 2000). Ainsi, selon Serbat, les temps verbaux de l’indicatif dénotent certes l’époque du procès, « mais seulement aux formes autres que le présent » (1980 : 39, italiques de l’auteur). La morphologie apporterait ici un début d’explication aux emplois non-présents (passés et futurs) de ce temps verbal (ex. 3 et 4 ci-dessus). On a reproché à cette explication d’omettre de prendre en considération la possibilité d’un morphème à signifiant zéro. Une position quelque peu différente, proposée par Wilmet (1997), considère que le Présent localise les procès désignés comme concomitants d’un « repère de l’actualité », ce repère étant manipulable et pouvant ou non coïncider avec le moment de l’énonciation. On y reviendra.

Les arguments sémantiques ont surtout été utilisés pour l’Imparfait. Ainsi, Damourette et Pichon (1911-1936, tome 5, §1726 et suiv.) et, à leur suite, Coseriu (1980), Le Goffic (1986, 1995), Vetters (2001) et d’autres, voient dans l’Imparfait un temps verbal exprimant essentiellement l’inactuel. Par « inactuel », il faut comprendre ici le fait d’indiquer que le procès désigné se situe dans un univers disjoint de l’univers des interlocuteurs, soit qu’il n’ait pas cours au moment de l’énonciation (non-présent), soit qu’il se situe dans un autre univers – univers hypothétique, imaginaire ou contrefactuel. Cette propriété de l’Imparfait expliquerait les emplois traditionnellement qualifiés de « modaux », donc des exemples comme (1b) et (2b) ci-dessus, ou encore comme (7) :

(7)  La pauvre rosse qui le traînait n’en pouvait plus ; [...] des frissons couraient sur sa peau fumante et baignée de sueur. Un effort de plus, et elle tombait morte ; déjà une goutte de sang perlait dans ses naseaux largement dilatés [...]. (T. Gauthier, 1863)

Selon cette conception, l’Imparfait serait donc apte à signifier aussi bien un univers fictif en rupture avec l’univers actuel, que le passé proprement dit. La valeur temporelle « passé » ne lui serait pas première, elle ne serait sélectionnée ou ne se manifesterait que dans certains contextes.


2.3. L’analyse des temps verbaux : notions fondamentales

2.3.1. Généralités

Pour décrire le fonctionnement des temps verbaux avec un minimum de rigueur, il est indispensable de commencer par mettre en place un certain nombre de concepts descriptifs. Ceux qui sont exposés ici sont proches de ceux présentés dans la notice “L’Aspect” et puisent à plusieurs sources. Pour l’essentiel, ces concepts concernent deux types d’expressions : le grammème de temps verbal, d’abord, en tant qu’expression du temps et de l’aspect ; le lexème verbal, ensuite, en tant qu’expression du procès.

Un grammème de temps verbal fonctionne à la manière d’un opérateur, dont l’opérande est le lexème verbal : il construit une expression fournissant, à propos du procès dénoté par le verbe, un certain nombre d’informations permettant de l’« actualiser » dans un acte de désignation. À cet égard on peut comparer une forme verbale conjuguée à une expression nominale, c’est-à-dire à un nom déterminé par un grammème-article : l’élément lexical apporte sa « dénotation », c’est-à-dire, s’agissant de verbes ou d’expressions verbales, une signification permettant de sélectionner un type de procès ; et l’élément grammatical (le grammème) apporte à ce procès les informations temporelles et aspectuelles qui transforment l’expression verbale en une forme apte à désigner, dans un énoncé, une ou plusieurs instance(s) de ce procès.

Examinons successivement ces deux points.

2.3.2. Schéma général d’un procès type

Il est commode, pour décrire le fonctionnement et la signification des formes verbales conjuguées, d’avoir recours à un schéma général consistant à distinguer, dans tout procès, cinq phases (Dik 1989). Ce schéma est représenté dans la Figure 1 (il est repris de la notice “L’Aspect”).

schéma

Figure 1. – Les cinq phases d’un procès type

Le procès proprement dit correspond à la partie centrale du schéma (phase processive). À gauche et à droite de la phase processive sont représentées respectivement la phase qui précède et celle qui suit le procès (respectivement : phase pré-processive, ou préparatoire, et phase post-processive, ou résultative). On distingue encore, à l’intérieur de la phase processive, les phases initiale, médiane et finale. La nécessité de prendre en compte ces différentes phases, et notamment celle qui précède et celle qui suit le procès, apparaîtra plus loin.

Ce schéma doit être regardé comme très général et donc nécessairement approximatif. Nous verrons que lorsqu’il s’agit de décrire certains types de verbes ou expressions verbales, il peut se révéler insuffisant voire partiellement erroné. On pourrait également lui reprocher d’être naïvement référentialiste et de reproduire une conception du procès qui relève du sens commun. Néanmoins, son utilité dans la description des phénomènes aspectuels s’avère suffisamment grande pour que nous en fassions l’un de nos instruments de travail.

2.3.3. Les paramètres S, E, R de Reichenbach (1947) et la notion d’aspect

Nous utiliserons dans ce qui suit un modèle qui emprunte à Reichenbach (1947) certains paramètres descriptifs et s’inspire également des apports de Gosselin (1996) à ce modèle. Ces paramètres sont les suivants :

– S (chez Reichenbach : Speech) [Note 5] . Il s’agit de l’intervalle temporel occupé par l’énonciation de l’énoncé. Ce paramètre permet de rendre compte du fonctionnement déictique des temps verbaux, du moins de certains d’entre eux, et donc de la distinction des trois époques : passé, présent et futur. Dans les schémas temporels que nous aurons à construire (chronogrammes), il sera noté, sous sa forme complète, [S1–S2] [Note 6].

– E (chez Reichenbach : Event). Il s’agit de l’intervalle temporel correspondant au procès que dénote le lexème verbal compte tenu de sa signification (et indépendamment du grammème de temps verbal). Sous sa forme complète, on le notera [E1–E2].

– R (chez Reichenbach : Reference). Ce paramètre représente l’intervalle temporel que désigne la forme verbale conjuguée, l’intervalle auquel elle « réfère ». Sous sa forme complète, il sera noté [R1–R2] [Note 7].

Souvent mal comprise et source de nombreux malentendus, la distinction entre E et R est à la fois subtile et cruciale. C’est elle qui permet de rendre compte du fait qu’une forme verbale conjuguée peut fort bien désigner une portion de temps qui ne correspond pas à celle qu’occupe le procès signifié par le lexème verbal. En un mot, elle rend compte de la notion d’aspect. Un exemple permettra de comprendre l’intérêt de cette distinction [Note 8].

Soit l’énoncé quand je suis entré, il mangeait. Quel effet produit l’Imparfait dans cet exemple, relativement au procès signifié par le verbe manger ? L’effet est le suivant : contrairement à ce que produirait une forme comme il mangea, il mangeait donne une représentation du procès qui n’est pas complète. Ce que montre temporellement il mangeait, c’est un procès en cours, dont une portion temporelle est déjà advenue, et dont une autre portion doit encore advenir. Autrement dit, l’intervalle temporel R auquel réfère la forme il mangeait, l’intervalle qu’elle désigne, est inclus dans l’intervalle temporel E signifié par le lexème verbal (ce que nous noterons : R⊂E). Il est important de voir que ce phénomène est indépendant du fait que le procès soit localisé dans le passé. En utilisant la terminologie introduite dans la Figure 1, on peut dire que il mangea donne à voir l’intégralité de la phase processive (phase initiale + phase médiane + phase finale, donc R=E), tandis que il mangeait n’en donne à voir que la phase médiane. La distinction de E et de R permet ainsi de rendre compte d’une propriété d’un temps verbal, en l’occurrence l’Imparfait. On dira que il mangeait, comme il mangea, ont en commun de produire une visée aspectuelle processive ; mais ces deux formes diffèrent par le fait que cette visée est de surcroît imperfective pour le premier (on dit aussi « sécante »), perfective pour le second (on dit aussi « globale »).

Nous ajouterons à S, E et R un quatrième paramètre, noté « e », conçu lui aussi comme un intervalle. Sous sa forme complète, il sera donc noté [e1–e2]. Ce quatrième élément nous sera utile dans la description des deux types majeurs de formes composées : les temps composés au sens traditionnel du terme (Passé composé, Plus-que-parfait, etc.) et les temps prospectifs (type il va pleuvoir, il allait pleuvoir). Ces deux types de formes verbales présentent en effet la particularité de pouvoir référer non seulement au procès proprement dit (phase processive), mais également à la phase post-processive (temps composés) ou à la phase pré-processive (temps prospectifs). Pour rendre compte de cette propriété, tout en continuant à distinguer référence temporelle (R) et signification du lexème verbal (E), il convient donc d’« élargir » la signification du lexème aussi bien du côté de la phase pré-processive que du côté de la phase post-processive. C’est à quoi sert l’intervalle [e1–e2].

Ces paramètres étant posés, il est maintenant possible d’envisager différentes relations temporelles entre eux. Les relations suivantes nous seront particulièrement utiles (Tableau1) :

Tableau 1. – Quatre types de relations temporelles fondamentales
Relation Notation
Coïncidence temporelle entre X et Y X=Y
Inclusion temporelle de X dans Y X⊂Y
Coïncidence ou inclusion entre X et Y
(neutralisation de la distinction =/⊂)
X⊆Y
Antériorité de X relativement à Y XX

Les relations temporelles entre R et E peuvent être de l’un des 5 types signalés dans le Tableau 2. Ces relations définissent quatre visées aspectuelles : perfectivité (R=E), imperfectivité (R⊂E), prospectivité (Re ligne) résulte de la neutralisation entre perfectivité et imperfectivité. (N.B. – La relation E⊂R ne correspond à aucun temps verbal en français ; il en va donc de même de E⊆R.)

Tableau 2. – Relations entre l’intervalle de référence (R) et l’intervalle du procès (E)
Relation entre R et E Signification aspectuelle
R=E aspect perfectif (« global »)
R⊂E aspect imperfectif (« sécant », « inaccompli »)
R⊆E sous-détermination entre aspect perfectif et imperfectif
R aspect prospectif
E aspect résultatif (« accompli »)

Dans l’un ou l’autre des cas R1–e2] sur lequel porte R, comme indiqué plus haut, se pose à nouveau la question de savoir laquelle des deux visées aspectuelles, perfective ou imperfective, caractérise la référence. D’où les situations :

Tableau 3. – Relations entre l’intervalle de référence (R) et la phase pré- ou post-processive
Relation entre R et e Signification aspectuelle
R=e aspect perfectif (sur la phase pré- ou post-processive)
R⊂e aspect imperfectif (sur la phase pré- ou post-processive)
R⊆e sous-détermination

Au total, cette conceptualisation aboutit aux possibilités représentées dans la Figure 2. En-dessous de chaque type sont donnés quelques exemples de temps verbaux correspondants.

schéma

Figure 2. – Visée aspectuelle de quelques temps verbaux du français.
Ce schéma donne une représentation simplifiée des temps prospectifs et n’inclut pas les Conditionnels.

Certains temps verbaux sont aspectuellement polysémiques (ou neutralisent une opposition aspectuelle), et figurent à deux endroits dans ce schéma. Il s’agit des temps composés (Passé antérieur excepté) et du Futur.

2.3.4. Perfectivité et imperfectivité

Ces deux visées aspectuelles sont fréquemment appelées également « aspect global » et « aspect sécant ». Quelles sont les principales conséquences de cette distinction, et à quels domaines s’applique-t-elle ?

Représenter un intervalle selon une visée perfective a comme première conséquence que le cours interne de cet intervalle est inaccessible. Ainsi, quand il s’agit par exemple de la phase processive (R=E), la visée perfective ne produit pas, comme on pourrait le penser, et comme on le dit parfois, un parcours interne complet du procès signifié par le verbe (qui s’opposerait à un parcours interne partiel), mais plutôt une saisie unitaire du procès, ce qui est tout à fait différent. Cette saisie a parfois été assimilée à un point temporel [Note 9], mais le terme même de « point » a donné lieu à de tels malentendus – notamment en didactique – qu’il est préférable de l’éviter. La perfectivité n’empêche en effet pas la durée (voir des exemples comme : Louis xiv régna 54 ans). En revanche, elle peut produire dans certains contextes des effets particuliers.

En contexte narratif, c’est-à-dire quand la référence temporelle progresse à chaque nouvel énoncé, la perfectivité peut produire, avec les verbes non transitionnels (verbes d’activité et d’état), un effet de contraction sur la phase initiale. On observe ce phénomène sur certains Passés simples (temps verbal typiquement perfectif), comme dans l’exemple suivant :

(8)  [Depuis un moment, Frédéric II entend un bruit curieux dans un arbre] Frédéric II était derrière ce buisson depuis peut-être une demi-minute, bouche ouverte et l’œil rond, quand le bruit ressembla à celui que ferait quelque chose, ou quelqu’un, ou une bête, un serpent qui glisserait contre des branches, de l’écorce [...]. (J. Giono, 1947)

Dans le moment narratif qui suit immédiatement cet extrait, le bruit désigné continue à ressembler à celui que ferait un serpent. D’autres procès peuvent suivre, tandis que cette ressemblance perdure. À cause du type de verbe, il n’est pas possible dans ce contexte de maintenir l’idée selon laquelle cette ressemblance serait saisie de façon globale, si « global » signifie que le terme du procès est inclus dans la référence. Tout se passe comme si ressembler signifiait dans ce contexte ‘commencer à ressembler’ (effet inchoatif). Si le verbe est interprété ainsi, alors le Passé simple conserve son caractère global, donc perfectif. Nous verrons plus loin quelles sont les conséquences de ce phénomène pour les temps composés, quand c’est l’état résultant qui fait l’objet d’une visée perfective (R=e).

Une autre conséquence, repérée depuis longtemps mais parfois présentée elle aussi de façon caricaturale, est la propension des formes verbales perfectives à faire temporellement progresser la référence temporelle. D’où leur utilisation prototypique dans la narration. Depuis quelques années, le terme de « propulsivité » est apparu pour désigner cette propriété (Johanson 2000). Il s’agit cependant d’une propriété nullement systématique, comme beaucoup l’ont noté [Note 10] et comme nous le verrons plus loin. Cette propulsivité, quand elle se présente, signifie que le procès désigné est donné comme postérieur à un procès ou un repère précédemment mentionné. Nous reviendrons également sur cette question dans la section sur les temps composés.

L’imperfectivité, par contraste avec ce qui précède, donne une représentation n’incluant ni la borne initiale ni la borne terminale de l’intervalle désigné. Il en résulte que ces deux bornes n’ont pas le même statut de réalité. Tandis que la borne initiale est présupposée exister (on ne peut référer à un procès en cours sans présupposer que son commencement est advenu), la borne terminale demeure quant à elle incertaine, de sorte que s’il s’agit d’un procès télique (cf. § 2.4. infra), il n’est pas possible de déterminer s’il est allé jusqu’à son terme. La conséquence de ces deux propriétés est que l’imperfectivité est inapte à faire progresser la référence temporelle, qu’elle est en quelque sorte « anti-propulsive ». Lorsqu’un procès est donné avec une visée imperfective, il ne modifie en général pas la référence temporelle antérieure [Note 11].

D’autres conséquences de ces deux visées aspectuelles seront développées plus loin, notamment dans la section consacrée aux temps composés (§ 4).

2.3.5. La localisation temporelle et la notion de repère (r0, r1)

Qu’il s’agisse des temps verbaux ou d’expressions adverbiales, les expressions localisant un procès dans le temps le font nécessairement selon l’un des trois modes suivants :

La localisation dite absolue. – Ce type de localisation n’est possible qu’avec un seul type d’expressions : celles qui utilisent le système calendaire-chronométrique. Il s’agit d’expressions comme : le 1er septembre 2021, le 18 juin 40, le 21 juillet 1969 à 2h56 UTC. « Absolu » vise à signifier ici qu’il n’est besoin d’aucune autre connaissance temporelle pour interpréter ces expressions. En ce sens, ce qualificatif est abusif, car ces expressions sont ininterprétables sans la connaissance du système calendaire-chronométrique. Nous continuerons néanmoins à l’utiliser.

En français, aucun temps verbal ne fonctionne de cette façon. Cependant, les linguistes utilisent encore souvent l’expression de temps absolus pour désigner les temps verbaux purement déictiques comme le Présent et le Futur, notion qu’ils opposent à celle de temps relatif. On doit cette terminologie à Girard (1747), mais la distinction des deux types de temps qu’elle désigne se trouve déjà dans la Grammaire de Port-Royal (Arnauld & Lancelot 1660) [Note 12]. Le texte de Girard est le suivant :

Lorsqu’ils [les temps verbaux] représentent le temps de l’événement par la seule comparaison avec celui où l’on parle, ils sont temps absolus : lorsqu’ils le représentent par une double comparaison, faite non seulement avec le temps de la parole mais encore avec celui de quelqu’autre événement, ils sont temps relatifs. (Girard, 1747, tome 2, p. 25)

En fait, une forme verbale conjuguée ne reçoit sa référence temporelle que par rapport à un repère. Un repère est un moment dont la localisation temporelle est supposée connue et qui est utilisé pour localiser un procès ou un autre moment [Note 13]. Selon le type de repère, on distingue deux modes de localisation :

La localisation déictique. – Il y a localisation déictique quand le repère utilisé n’est autre que le moment de l’énonciation, autrement dit S (qualifié parfois d’origo temporelle). Des adverbiaux comme (9) identifient leur site temporel (leur date) de façon typiquement déictique :

(9)  hier,
aujourd’hui,
demain,
il y a trois jours,
dans trois jours

Du côté des temps verbaux, et comme indiqué plus haut, les temps réputés passés (Imparfait, Passé simple, Plus-que-parfait, par ex.) ou futurs (Futur simple et Futur antérieur), de même que le Présent, ont un fonctionnement déictique. La connaissance de S est en quelque sorte un allant-de-soi de tout acte de communication. Ce premier repère sera désormais noté r0.

La localisation anaphorique. – Il y a localisation anaphorique quand le repère utilisé est un moment dont la localisation temporelle est supposée connue, non pas au même titre que S, mais parce qu’elle est fournie par le contexte et est susceptible d’être mémorisée. Les expressions adverbiales listées en (10), homologues de celles de (9), identifient leur date de façon typiquement anaphorique :

(10)  la veille,
ce jour-là,
le lendemain,
trois jours plus tôt,
trois jours plus tard

Contrairement au cas précédent, le repère nécessaire pour interpréter ces adverbiaux n’est pas un allant-de-soi. Il doit être connu, par exemple par mémorisation d’une information apportée antérieurement. Il peut arriver que cette information doive être inférée, ou encore qu’elle soit fournie par le contexte mais après l’expression. « Anaphorique » inclut donc ici le mécanisme de la cataphore. Les repères anaphoriques seront désormais notés r1. Les repères seront considérés comme des points, non comme des intervalles.

Relativement à la distinction entre déixis et anaphore, il existe trois types de temps verbaux : des temps purement déictiques, des temps purement anaphoriques, et des temps qui associent les deux modes de localisation et qui sont donc anadéictiques.

Comme exemple de temps verbal purement anaphorique, on peut mentionner le Participe présent. En effet, cette forme n’est pas apte à elle seule à localiser le procès qu’elle dénote. Elle hérite cette information du verbe principal. Ce mécanisme d’héritage n’est autre qu’un mécanisme anaphorique.

(11)  a.  Trouvant l’endroit agréable, il décida de s’y installer.
b.  Trouvant l’endroit agréable, il décide de s’y installer.
c.  Trouvant l’endroit agréable, il décidera de s’y installer.

Comme exemple de temps verbal anadéictique, on peut mentionner le Plus-que-parfait. En effet, d’une part en tant que temps du passé, indiquant donc que la référence temporelle est antérieure à S, le Plus-que-parfait comporte une dimension déictique. Mais d’autre part, il comporte également une dimension anaphorique : il indique que le procès désigné est antérieur à un repère lui-même localisé dans le passé (ce repère pouvant être fourni par un autre procès). Ce second fonctionnement relève de l’anaphore [Note 14].

2.3.6. De la nécessité de distinguer S de r0

Bien que le moment de l’énonciation (S) serve la plupart du temps, et par défaut, d’origo temporel, il est utile de distinguer S de son utilisation comme repère. L’intérêt de cette distinction apparaît lorsqu’il s’agit de rendre compte de certains phénomènes de transposition temporelle. Pour faire voir de quoi il s’agit, examinons l’exemple suivant.

(12)  La gauche recueille les lauriers d’une union longuement et difficilement acquise. Sur l’ensemble des villes de plus de 30000 habitants, elle recueillait à l’heure où nous écrivons environ 52% des voix. (Le Progrès, 14.03.1977. In : Kerbrat-Orecchioni 1980 : 61).

Dans cet extrait, l’énonciateur-journaliste utilise un Imparfait dans un contexte où l’on attendrait un Présent : le procès désigné par cet Imparfait est localisé au moyen de l’expression adverbiale à l’heure où nous écrivons (expression qui comporte elle-même un Présent). L’explication qu’on peut donner est que cet Imparfait anticipe le moment où l’article sera lu ; il revient à « se mettre à la place » du futur lecteur, pour qui l’actualité de l’énonciateur-journaliste sera forcément du passé au moment où il prendra connaissance de l’article. Il y a donc ici, sur cette forme verbale, projection du repère r0 sur le moment de la lecture (le moment de l’écriture devenant ipso facto du passé). À l’écrit, cette anticipation du temps de la lecture se rencontre sporadiquement, notamment dans la correspondance épistolaire. Les grammaires latines lui ont donné le nom de « passé épistolaire ». Voici un exemple forgé de séquence formulée selon cette logique temporelle, où le Présent et les deux temps du passé (Imparfait et Passé composé) adoptent le point de vue temporel du lecteur :

(13)  En me lisant, tu dois penser que j’étais de très mauvaise humeur quand j’ai écrit cette lettre. (Avec cette lettre désignant la lettre où figure cette séquence)

Ces transpositions temporelles montrent que le repère r0, en tant que déterminant le choix des temps verbaux et de certains adverbiaux temporels, ne doit pas être considéré comme une contrainte incontournable. Il est certes par défaut (et la plupart du temps) localisé dans S ; mais son placement est avant tout une construction du discours, autrement dit un paramètre susceptible de diverses manipulations [Note 15].


2.4. Terminologie utilisée pour l’aspect lexical [Note 16]

On aura souvent recours, dans cette notice, à des termes permettant de caractériser l’aspect lexical, c’est-à-dire les propriétés aspectuelles des lexèmes verbaux ou des expressions verbales. Cette section donne un aperçu de la terminologie utilisée. Elle ne vise donc pas du tout à faire le point sur l’état des connaissances dans le domaine de l’aspect lexical.

Transitionnalité :

Tout d’abord, on distingue entre les verbes transitionnels et les verbes non transitionnels.
Sont typiquement transitionnels des verbes comme : s’endormir, arriver, réparer, construire.
Sont typiquement non transitionnels des verbes comme : heurter, éternuer, travailler, préférer.

La notion de transition peut être décrite sommairement comme un changement d’état impliquant un terme naturel (Martin 1988). Soit, en reprenant les exemples ci-dessus et en nous limitant à des gloses forcément sommaires :

–  s’endormir : passer de l’état de veille à l’état de sommeil
–  arriver : passer de l’état consistant à ne pas être en un certain lieu, à l’état consistant à se trouver dans ce lieu
–  réparer : faire passer de l’état consistant à ne pas pouvoir fonctionner à l’état consistant à pouvoir fonctionner
–  construire : faire passer de l’état consistant à ne pas exister à l’état consistant à exister’.
  

On analyse parfois ce type de verbe en opposant contenu « présupposé » et contenu « asserté » (e.g. Vet 1980). Il s’est endormi présuppose ‘il était réveillé’ et asserte ‘il dort’.

Durativité :

On distingue également entre verbes duratifs et non duratifs (ou instantanés). Parmi les exemples ci-dessus, les verbes non duratifs sont représentés par : s'endormir, arriver, heurter, éternuer.
Et les verbes duratifs par : réparer, construire, travailler, préférer

Depuis Garey (1957), on utilise le terme de télicité (verbe télique vs atélique) comme équivalent de « transitionnalité ». Cependant beaucoup d’auteurs limitent la télicité aux verbes transitionnels duratifs. Pour ces auteurs (e.g. Comrie 1976), seuls réparer et construire parmi les verbes ci-dessus sont considérés comme téliques. Entendus ainsi, les verbes téliques présentent la particularité d’être compatibles avec les expressions en « en + durée » : réparer une fenêtre en quelques minutes, construire une maison en six mois [Note 17].

Dynamicité :

On distingue également entre les verbes n’impliquant pas de dynamique interne (verbes statifs, ou d’état) de ceux impliquant une dynamique interne (tous les autres types). Parmi les 4 exemples de verbes duratifs ci-dessus, seul le dernier est non-dynamique. Sont dépourvus de dynamicité : préférer, habiter, être assis, craindre

Un critère généralement donné pour distinguer les verbes statifs des autres verbes est la non-compatibilité – du moins la difficile compatibilité – des verbes statifs avec la périphrase être en train de. Cf. il est en train de courir vs *il est en train de préférer le chocolat. Cette périphrase nécessite en effet deux propriétés : la durée et la dynamicité, cette dernière étant absente des verbes d’état.

Vendler (1957) a distingué quatre types de verbes, qu’il a appelés : accomplissements (transitionnels duratifs), achèvements (transitionnels non-duratifs), activités (non transitionnels duratifs) et états (non transitionnels, duratifs et non dynamiques). On ajoute en général à cette liste les verbes ponctuels, ou points (Moens & Steedman 1988), qui sont non transitionnels, non duratifs et néanmoins dynamiques [Note 18]. Les deux verbes suivants sont des points : heurter, éternuer.

Si l’on traite les propriétés ci-dessus comme des composants sémantiques minimaux (traits sémantiques), on peut alors décrire ces cinq types comme suit :

accomplissement [+transitionnel] [+duratif] [+dynamique] réparer, construire
achèvement [+transitionnel] [–duratif] [+dynamique] s'endormir, arriver
activité [–transitionnel] [+duratif] [+dynamique] travailler, courir
état [–transitionnel] [+duratif] [–dynamique] habiter, préférer
point [–transitionnel] [–duratif] [+dynamique] heurter, éternuer

Incrémentativité :

Il existe par ailleurs une famille de verbes présentant des points communs d’une part avec les verbes d’accomplissement, d’autre part avec les verbes d’activité. Avec les verbes d’accomplissement, ils partagent le fait d’être [+dynamique] et [+duratif] ; avec les verbes d’activité, le fait que cette dynamicité ne débouche pas sur une transition d’état. Ils sont donc [+dynamique] et [–transitionnel], comme les points, mais [+duratif]. Il s’agit de verbes comme les suivants : vieillir, jaunir, grandir, élargir, (s')améliorer, mûrir, faciliter.

On peut les caractériser comme suit : ils désignent l’augmentation ou la diminution du taux auquel est évaluée la possession d’une certaine propriété, la possession d’une certaine dimension. Dans les exemples ci-dessus : l’âge (vieillir), une couleur (jaunir), la grandeur (grandir), la largeur (élargir), la qualité ((s’)améliorer), la maturité (mûrir), la difficulté (faciliter). La plupart de ces verbes sont morphologiquement dérivés d’adjectifs gradables. Nous les qualifierons d’incrémentatifs, appellation empruntée à Bertinetto (1986) [Note 19]. Contrairement aux verbes d’accomplissement, les verbes incrémentatifs ne débouchent pas sur une transition. Le taux auquel est évaluée la possession de la propriété concernée peut toujours être plus élevé ou moins élevé.

Cependant, certains verbes incrémentatifs oscillent entre deux, voire trois types aspectuels. Un verbe comme (s’)améliorer est en principe toujours incrémentatif et n’implique pas de transition, sa base morphologique (meilleur) n’étant pas une notion absolue. Mais il en va différemment de verbes comme jaunir ou faciliter, qui peuvent signifier aussi bien ‘devenir plus jaune’, ‘rendre plus facile’, que ‘devenir jaune’, ‘rendre facile’ (comme qualités absolues). Dans le premier cas, ce sont des verbes incrémentatifs au sens défini ci-dessus (donc non transitionnels) ; dans le second, des verbes transitionnels. Cette variation sémantique est héritée de la base adjectivale : facile peut être interprété comme gradable ou comme non-gradable, et il en va de même des adjectifs de couleur.

Si l’on s’en tient aux traits sémantiques retenus ci-dessus, les verbes incrémentatifs ont donc les mêmes propriétés que les verbes d’activités de Vendler : ils sont [–transitionnel], [+duratif] et [+dynamique]. Etant donné qu’ils s’en distinguent par l’idée de changement, de transformation, nous ajouterons ce trait pour les intégrer dans la typologie. On obtient alors les six types suivants :

accomplissement [+transitionnel] [+duratif] [+dynamique] [+transformatif] réparer, construire
achèvement [+transitionnel] [–duratif] [+dynamique] [+transformatif] s'endormir, arriver
activité [–transitionnel] [+duratif] [+dynamique] [–transformatif] travailler, courir
état [–transitionnel] [+duratif] [–dynamique] [–transformatif] habiter, préférer
point [–transitionnel] [–duratif] [+dynamique] [–transformatif] heurter, éternuer
incrémentatif [–transitionnel] [+duratif] [+dynamique] [+transformatif] vieillir, (s')améliorer

Précisons que les exemples donnés dans ce tableau le sont en vertu d’une signification considérée intuitivement comme première. Il faut toutefois avoir conscience que la polysémie verbale peut concerner spécifiquement l’aspect lexical, comme on vient de le voir avec les verbes incrémentatifs. Par exemple, le verbe se taire, considéré généralement comme pouvant signifier ‘ne pas parler’ ou ‘cesser de parler’, a une polysémie typiquement explicable par l’aspect : signifiant ‘ne pas parler’, c’est un verbe d’état (éventuellement d’activité) ; signifiant ‘cesser de parler’, c’est un verbe d’achèvement.


2.5. La notion d’emploi

2.5.1. Position du problème

Tout le monde s’accorde pour reconnaître que les temps verbaux peuvent être associés, en discours, à une multitude de significations ou de fonctions différentes : temporelles et aspectuelles, cela va de soi, mais aussi modales, médiatives, pragmatiques, voire textuelles. Les travaux se revendiquant d’une approche TAM (Temps, Aspect, Modalité), ou plus récemment TAME (Temps, Aspect, Modalité, Évidentialité) visent précisément à prendre en compte cette polyfonctionnalité des temps verbaux (cf. Dahl 1985, Tournadre 2004).

Par ailleurs, en sémantique verbale peut-être davantage que dans d’autres domaines de la sémantique, il est particulièrement difficile de dissocier, dans les significations produites, celles qui doivent être spécifiquement attribuées au grammème de temps verbal et celles qui résultent d’une combinaison entre l’apport du grammème et l’apport de certains éléments de son contexte, à commencer par le lexème verbal [Note 20] . Depuis longtemps, l’habitude s’est installée consistant à recourir à des notions comme celles d’emploi ou d’effet de sens, notions auxquelles on oppose souvent une signification réputée « de base », sans que ces notions soient réellement approfondies [Note 21]. Il en résulte parfois, notamment dans certaines publications à finalité typologique et/ou didactique, une prolifération non contrôlée d’« emplois » et d’« effets » – prolifération que l’ambition d’installer de nouvelles étiquettes dans la communauté des linguistes ne peut qu’encourager. Or, le risque existe d’attribuer au grammème de temps verbal des propriétés qui sont en réalité celles de son environnement, comme l’ont noté plusieurs auteurs (e.g. Vetters 2011). On ne peut malheureusement que constater que, en dépit de sa pertinence, cette remarque est en réalité assez peu prise en compte.

Il n’est pas possible ici d’aborder cette problématique de façon approfondie [Note 22]. Mais il peut être utile de passer en revue quelques mécanismes généraux permettant de mieux comprendre l’apparente polysémie des temps verbaux.

La position que nous adopterons consiste à considérer, par hypothèse, que les grammèmes des temps verbaux du français ont une signification qui se limite à de l’information aspectuelle et temporelle, celle-là même dont la description nécessite l’appareil conceptuel développé plus haut. Cette information sera considérée comme constituant leur « carte » sémantique au plan de la langue. Dès lors, l’objectif de la présente section est de mettre au jour quelques mécanismes susceptibles d’expliquer comment d’autres significations peuvent advenir lors de l’actualisation du grammème, autrement dit lors de sa combinaison avec un lexème verbal et plus généralement de sa mise en contexte, lorsque la langue devient discours.

2.5.2. Quelques mécanismes de la polysémie verbale

On distinguera cinq mécanismes susceptibles d’engendrer, à partir des informations aspectuo-temporelles portées par le grammème de temps verbal, des significations au moins partiellement différentes et/ou plus ou moins spécifiques :

– l’interaction entre grammème et lexème verbal           
– la sous-détermination référentielle      
– la transposition temporelle     
– la modification de la portée du grammème de temps verbal     
– l’absence d’ancrage d’un paramètre du temps verbal

À ces mécanismes, il convient d’ajouter un phénomène très général, transversal, que nous désignerons par le terme de « phraséologisation ».

2.5.2.1. Interaction entre grammème et verbe

Vendler (1957) déjà avait noté que les temps verbaux de l’anglais interagissaient avec la signification du verbe, et que cette interaction pouvait se traduire par une modification de l’interprétation de celui-ci. Très généralement, ce phénomène peut être caractérisé comme le résultat de l’interaction entre les propriétés du grammème de temps verbal et celles du lexème verbal. En voici quelques exemples :

Le premier concerne l’Imparfait lorsque ce temps verbal opère sur un verbe désignant un procès instantané et transitionnel, par exemple le verbe sortir. La combinaison de l’imperfectivité du temps verbal et des propriétés aspectuelles du verbe peut produire une modification de la signification de ce dernier, par absorption de la phase pré-processive : le verbe ne désigne plus alors la phase transitionnelle seulement, en principe sans durée dans le cas de sortir, mais un intervalle plus large incluant la phase pré-processive (la préparation de la sortie). On observe typiquement ce phénomène dans la formulation suivante :

(14)  Il sortait lorsque le téléphone a sonné.
(≈ ‘il s’apprêtait à sortir...’, ‘il était sur le point de sortir...’)

Dans (14), le verbe sortir ne désigne pas seulement la transition stricto sensu ; il y ajoute un intervalle qui relève de la phase pré-processive. Cette extension sémantique du signifié verbal est la conséquence de la difficile compatibilité entre l’imperfectivité du grammème d’Imparfait (impliquant une certaine durée) et l’instantanéité du procès que dénote le verbe [Note 23].

Le second exemple, déjà évoqué plus haut, concerne le Passé simple, et plus généralement les temps verbaux perfectifs. Lorsqu’ils opèrent sur un verbe non transitionnel duratif (activités et états de Vendler), ces grammèmes tendent en effet à produire une signification inchoative, comme dans l’exemple suivant :

(15)  Alors il dansa. [...] Il se laissa envahir par la musique, par le rythme. L’alcool coulait dans ses veines. (roman internet, 2009)
(≈ ‘il se mit à danser’)

Avec quelques verbes, ce phénomène s’est lexicalisé et a produit de la polysémie verbale. On l’a vu plus haut avec le verbe se taire et les deux significations : ‘ne pas parler’ (non transitionnel et duratif), et ‘cesser de parler’ (transitionnel et non duratif).

On observe par ailleurs le fait suivant concernant ce verbe : sans que l’autre signification soit exclue, c’est précisément la première qui est préférentiellement sélectionnée avec l’Imparfait, et la seconde avec le Passé simple :

(16)  Il se taisait.  (‘il ne parlait pas’)
Il se tut.  (‘il cessa de parler’)

2.5.2.2. Sous-détermination référentielle

Ce phénomène concerne spécifiquement les temps composés. Il est proche du précédent dans la mesure où il s’agit également de l’interaction entre le grammème et le lexème verbal. Il s’en distingue cependant par le fait que, quoique également sensible au type aspectuel du verbe, il peut se produire avec tous les verbes, de sorte qu’on le considère en général comme une propriété des grammèmes des temps composés.

Ces temps verbaux ont en effet pour caractéristique de pouvoir référer aussi bien au procès proprement dit (à la phase processive) qu’à ses conséquences, à ce que Guillaume (1929) appelait sa « séquelle », bref à la phase post-processive, ou résultative ; de sorte qu’il est commun d’opposer des emplois processifs, comme dans (17), et des emplois résultatifs, comme dans (18) :

(17)  Il s’est réveillé il y a une heure.

(18)  Regarde : il s’est réveillé (≈ ‘il est réveillé’, ‘il ne dort plus’)

À strictement parler, il ne s’agit pas ici de deux significations du Passé composé, mais plutôt de deux actualisations différentes des potentialités référentielles de ce temps verbal : dans (17), le contexte, avec l’adverbial il y a une heure, sélectionne la phase processive ; tandis que dans (18), avec l’impératif regarde, il sélectionne la phase post-processive.

2.5.2.3. Transposition temporelle

Il s’agit de l’opération consistant à déplacer un repère associé au temps verbal. La plus commune est le déplacement de r0, repère réglant le choix des expressions de la déixis temporelle, donc celui des temps verbaux. Ce repère, situé par défaut dans l’intervalle d’énonciation, peut être déplacé (on dit parfois « projeté ») dans le futur ou dans le passé. Il en résulte une modification corrélative dans le choix des temps verbaux.

Le déplacement de r0 dans le passé a pour conséquences une utilisation du Présent pour désigner des procès passés, et donc du Futur pour désigner des procès ultérieurs à ces derniers. C’est ce qui se produit quand le Présent est utilisé comme temps conducteur de la narration dans le passé (fictive ou non), transposition connue sous l’appellation de Présent « narratif » ou « historique ». Cette transposition est illustrée par les exemples (3a-b) supra.

Le déplacement de r0 dans le futur produit des conséquences inverses. Le Présent est alors utilisé pour désigner des procès futurs, les autres temps verbaux s’accordant avec cette convention (le moment de l’énonciation devient du passé, etc.). Une exploitation de cette transposition est celle où r0 est associé à la temporalité de la réception, le locuteur adoptant le point de vue temporel du destinataire. Cette manœuvre n’est pertinente que lorsque l’intervalle temporel entre le moment de la production et celui de la réception est relativement long, par exemple dans la correspondance épistolaire (voir exemple (13) supra). On pourrait regarder cette transposition comme un fait d’empathie temporelle. Mais il serait peu utile de créer un emploi spécifique pour en rendre compte, et de parler par exemple d’« Imparfait épistolaire ». L’Imparfait de (13) n’est pas plus épistolaire ici que le Présent ou le Passé composé. Ces « emplois » ne sont que la conséquence de la transposition de r0 sur le moment de la réception. L’appellation même de « passé épistolaire » n’est pas non plus des plus heureuses, car elle ne prend en considération que la temporalité précédant le moment de la réception. Or dans cet exemple, on pourrait aussi bien parler de présent (l’époque) épistolaire.

Ces transpositions peuvent à leur tour déboucher sur des exploitations pragmatiques. Ainsi, c’est un fait bien connu que parler du présent en faisant comme si l’on parlait du passé (i.e. en projetant momentanément r0 dans le futur) ou comme si l’on parlait du futur (i.e. en projetant momentanément r0 dans le passé) est un procédé permettant d’atténuer l’expression de certains actes langagiers, en particulier les actes directifs (requêtes, questions). Les Imparfaits ou les Futurs dits « de politesse », comme (19)-(20), en sont une illustration.

(19)  A: euh:: (.) j’voulais vous d’mander aut’chose [pour] euh: le règlement des
B:                  [oui]
A: cours y a-t-il possibilité d’régler en plusieurs fois ou faut faire qu’un seul chèque  (in Traverso 1999, 52) [Note 24]

(20)  J’ai posé un paquet sous la banquette, dit Berthier, je vous demanderai d’y faire attention. (M. Aymé, 1933)

Parce que ces emplois concernent un petit nombre de verbes, les formulations qui en résultent sont pratiquement lexicalisées.

2.5.2.4. Modification de la portée du grammème de temps verbal

On considère généralement qu’un temps verbal a pour fonction de localiser dans le temps le procès signifié par le verbe, et de donner une certaine représentation de la temporalité interne de ce procès. La première partie de cette définition rend compte de la fonction de localisation, la seconde de l’aspect. Cette conception implique que le grammème porte sur le procès signifié par le verbe, que ce dernier en constitue l’incidence.

Cependant, dans certains cas le temps verbal échappe à cette caractérisation et paraît opérer sur un autre objet que le procès signifié par le verbe. Soit l’exemple suivant :

(21)  Paul se levait tôt le matin depuis quelques mois.

Compte tenu du type de procès désigné (procès transitionnel, conçu en principe comme non duratif) et de la durée signifiée par l’adverbial (depuis quelques mois), cet exemple ne peut être interprété que comme signifiant la répétition de ce même procès durant l’intervalle borné par l’adverbial (≈ ‘Paul avait l’habitude de se lever tôt le matin depuis quelques mois’). Par ailleurs, nous avons vu plus haut que l’une des caractéristiques de l’Imparfait est de donner du procès une représentation incomplète (imperfective), excluant les bornes initiale et finale (R⊂E). Comment, dès lors, expliquer dans (21) le fonctionnement de ce temps verbal ? Il ne peut manifestement pas porter sur chaque procès considéré individuellement, la répétition impliquant l’accomplissement complet de chaque occurrence du procès. L’explication la plus vraisemblable est la suivante (Gosselin 2005) : dans cet exemple, le grammème d’Imparfait porte non pas sur chaque occurrence du procès signifié par se lever, mais sur une séquence de plusieurs occurrences de ce procès [Note 25] . Autrement dit, c’est la séquence elle-même, formée de la répétition de ce procès, qui est représentée comme située dans le passé et avec une visée aspectuelle imperfective, donc comme ayant commencé avant l’intervalle désigné par le temps verbal, et se poursuivant après cet intervalle.

Il en résulte que les emplois de l’Imparfait que l’on qualifie d’« itératifs » ou d’« habituels » s’expliquent techniquement par la variation que subit la portée du grammème d’Imparfait : dans notre notation, l’élément E ne correspond plus à un procès singulier, mais à une séquence itérative. Nous aurons l’occasion de voir que beaucoup d’autres significations produites par les temps verbaux peuvent être expliquées par une analyse de la portée du grammème.

2.5.2.5. Absence d’ancrage d’un paramètre du temps verbal

Lorsqu’un temps verbal est actualisé en discours, les paramètres définis plus haut (S, R, E, les repères) s’ancrent dans une certaine représentation. Toutes sortes de conséquences sémantiques, toutes sortes de faits d’interprétation peuvent être déclenchés par cet ancrage selon la façon dont il est réalisé. Ainsi, dans l’exemple examiné précédemment, où ce sont tous les paramètres qui sont concernés, E est une séquence de procès et non un procès singulier. Il peut arriver cependant qu’un paramètre se trouve sans ancrage, c’est-à-dire ne trouve dans le contexte aucune information lui permettant de recevoir sa valeur temporelle. Cette absence d’ancrage est potentiellement génératrice de significations particulières.

Cette situation se rencontre par exemple avec le Futur antérieur. Dans ses emplois les plus fréquents, ce temps verbal réfère à un intervalle temporel localisé dans le futur, et cet intervalle correspond à la phase post-processive (résultative) du procès (Patard 2019) :

(22)  J’aurai terminé dans vingt minutes.

Ce temps verbal a également des emplois processifs. Dans ce cas le procès n’est pas obligatoirement localisé dans le futur, mais il est toujours considéré à partir d’un repère qui, lui, est localisé dans le futur :

(23)  a.  Il rentrera tard demain soir. Auparavant, il aura participé à sa dernière réunion de travail.

b.  Dimanche prochain, j’aurai fait votre connaissance il y a très exactement dix ans.

Dans (23a), le procès désigné par le verbe est situé dans le futur, et est antérieur (cf. auparavant) à un repère dont l’ancrage temporel est assuré par demain soir. Dans (23b), le procès est situé dans le passé. Le caractère futur est néanmoins motivé par le fait que ce procès est considéré à partir d’un repère localisé dans le futur, repère dont l’ancrage temporel est assuré par l’expression dimanche prochain.

Il en va différemment dans l’exemple suivant :

(24)  – Il se passe..., il se passe... que j’ai perdu mon portefeuille. – Bah ! dit Agustin, soucieux de rendre service et de calmer son voisin, vous l’aurez oublié chez vous, voilà tout. (J. d’Ormesson, 1986)

Comme dans (23b), le Futur antérieur de (24) localise le procès dans le passé. Mais dans cet extrait, aucune expression ne permet d’ancrer dans l’avenir le repère du Futur antérieur. Or, on constate que cette absence d’ancrage est associée ici à une signification particulière : ce Futur antérieur confère à l’énoncé une valeur d’hypothèse, hypothèse qui est présentée comme susceptible d’expliquer l’absence d’un certain portefeuille [Note 26]. On qualifie habituellement de « conjectural » ou d’« épistémique » cet emploi. Cette signification particulière est due précisément à l’absence d’ancrage du repère impliqué par ce temps verbal. (Dans la section consacrée au Futur antérieur, nous verrons comment il est possible de rendre compte de ce problème, en utilisant les différents paramètres présentés plus haut.)

2.5.2.6. Phraséologisation et fonctionnement indiciel

C’est une dimension rarement mentionnée à propos des temps verbaux, et dont les conséquences sont pourtant importantes. Les approches qui recourent à des notions comme celle de coercion (H. de Swart) ou de résolution de conflit (L. Gosselin), si elles expliquent de façon convaincante l’émergence de certaines significations ou de certains effets sémantiques, omettent généralement d’indiquer que ces significations et effets sont pour la plupart fortement conventionnalisés et donc mémorisés dans les savoir-faire grammaticaux des sujets parlants. Un exemple comme (21) ci-dessus, où l’Imparfait doit être interprété comme exprimant une habitude et non un procès singulier, ne fait en réalité que réaliser un type de signification – l’habitualité – par ailleurs tout à fait routinier et préexistant dans la grammaire des sujets parlants. En fait, cette formulation comporte un faisceau de marqueurs qui contribuent à l’expression de l’habitualité et sont fréquemment associés à cette valeur : le grammème d’Imparfait, la signification du verbe se lever, dont l’instantanéité a une compatibilité faible avec l’imperfectivité, et l’expression depuis quelques mois, impliquant un intervalle temporel relativement long. On dira que le temps verbal est associé ici à une formation phraséologique. La même remarque pourrait être faite à propos des Imparfaits et Futurs à fonction atténuative (ex. 19-20), du Futur antérieur conjectural (ex. 24), et de beaucoup d’autres « emplois ».

Par l’expression de « formation phraséologique », on entend donc l’existence de relations de solidarités d’intensité variable entre certains marqueurs, en raison de leur co-présence fréquente et plus ou moins systématique dans l’expression d’une fonction sémantique ou pragmatique particulière. Une même formation phraséologique peut associer (et associe généralement) des marqueurs appartenant à des niveaux très variés : grammèmes, lexèmes, constructions syntaxiques, fonctions pragmatiques, etc. [Note 27] Les schémas généraux qui en résultent présentent une certaine variation interne, qui peut être importante. C’est la raison pour laquelle il n’est pas possible d’en rendre compte avec la notion de figement – en dépit d’une certaine parenté entre les deux phénomènes. Il n’en demeure pas moins que ces formations, en raison de leur statut dans le savoir-faire langagier des sujets parlants, fonctionnent à la manière de macro-signes discontinus.

À regarder la façon dont est utilisée la notion d’emploi dans la littérature sur les temps verbaux, on s’aperçoit d’ailleurs que l’un des facteurs vraisemblablement décisifs est précisément la phraséologisation : sont prioritairement identifiés et reconnus comme des emplois les cas où le temps verbal contribue, dans le contexte d’une formation phraséologique, à l’expression d’une signification particulière ou à l’accomplissement d’une fonction pragmatique spécifique. L’erreur consiste malheureusement souvent à attribuer au seul grammème de temps verbal ces significations ou fonctions pragmatiques !

Par rapport à la notion d’emploi, et de façon plus générale par rapport à l’idée même de « polysémie » s’agissant des temps verbaux, deux enseignements peuvent être tirés de ce phénomène de phraséologisation.

En premier lieu, les significations correspondant à ces emplois ne sont pas produites par le seul grammème de temps verbal, de sorte que c’est en réalité un abus de langage que de parler, par exemple, de Présent futural, d’Imparfait d’habitude, de Futur épistémique, de Présent gnomique, de Conditionnel évidentiel, etc. Les significations que décrivent ces appellations ne sont pas associées à un grammème de temps verbal, mais à un faisceau de marqueurs dont le temps verbal n’est qu’un élément. En second lieu, ces significations ne peuvent pas non plus être convenablement décrites si on les regarde seulement comme des spécifications contextuelles d’une valeur de base (valeur considérée alors en général comme sous-déterminée) [Note 28] . Les concevoir ainsi reviendrait à voir en elles des phénomènes sémantiques purement contingents, faisant à chaque fois l’objet d’un calcul. Or, le principe même de toute formation phraséologique est précisément de court-circuiter le calcul de la signification, celle-ci étant codée à un niveau supérieur. C’est ce niveau que nous avons voulu désigner en parlant de macro-signe discontinu.

Un fait un peu particulier, qu’il n’est pas habituel de caractériser comme phraséologique, est le fonctionnement indiciel de certains temps verbaux. Le Passé simple, par exemple, a aujourd’hui un statut tel qu’il évoque automatiquement et quasi exclusivement le registre narratif (ce qui n’a pas toujours été le cas) ; le Conditionnel dans Il y aurait de l’eau sur Mars évoque par lui-même la presse, et même plus particulièrement les titres de presse (d’où l’appellation de Conditionnel « journalistique ») ; certains emplois du Futur antérieur semblent également particulièrement fréquents dans la presse (Ciszewska-Jankowska 2019) et produisent le même type d’association, etc. Ces phénomènes, qui relèvent de la connotation, bien que vraisemblablement assez marginaux, n’en contribuent pas moins, comme les formations phraséologiques, à renforcer l’impression d’« emplois ». Ils ne relèvent pas à strictement parler de la phraséologie, mais dans la mesure où ils émergent suite à des faits de cooccurrence, on peut néanmoins les rattacher à la phraséologie au sens large.


2.6. Références bibliographiques importantes

Barceló Gérard J., Bres Jacques (2006). Les temps verbaux de l’indicatif en français. Paris : Ophrys.

Beauzée Nicolas (1765). Article Tems. In : Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers, Tome 16. Neufchastel : Chez Samuel Faulche, 96–117.

Comrie Bernard (1976). Aspect. An introduction in the study of verbal aspect and related problems. Cambridge (UK) : Cambridge University Press.

Comrie Bernard (1985). Tense. Cambridge (UK) : Cambridge University Press.

Garey Howard B. (1957). Verbal aspect in French. Language 33, no 2, 91-110.

Gosselin Laurent (1996). Sémantique de la temporalité en français. Un modèle calculatoire et cognitif du temps et de l’aspect. Louvain-la-Neuve : Duculot.

Gosselin Laurent (2021). Aspect et formes verbales en français. Paris : Garnier.

Guillaume Gustave (1929). Temps et verbe. Théorie des aspects, des modes et des temps. Paris : Honoré Champion.

Imbs Paul (1960). L’emploi des temps verbaux en français moderne. Paris : Klincksieck.

Koschmieder Erwin (1929/1996). Zeitbezug und Sprache. Ein Beitrag zur Aspekt- und Tempusfrage. Leipzig/Berlin: B.G. Teubner. – Trad. française : Les rapports temporels fondamentaux et leur expression linguistique. Contribution à la question de l’aspect et du temps. Villeneuve-d’Ascq : Presses universitaires du Septentrion, 1996.

Reichenbach Hans (1947). The tenses of verbs. In: H. Reichenbach, Elements of symbolic logic, § 51. London : The Macmillan Company.

Vendler Zeno (1957). Verbs and time. The Philosophocal Review LXVI, 143-160. Réédité dans : Z. Vendler, Linguistics in Philosophy. Ithaca, New York : Cornell University Press, 1967, 97-121.

Vet Co (1980). Temps, aspect et adverbes de temps en français contemporain. Genève : Droz.

Vetters Carl (1996). Temps, aspect et narration. Amsterdam : Rodopi.

Weinrich Harald (1973). Le temps. Le récit et le commentaire. Paris : Éd. du Seuil. Trad. de : Tempus : Besprochene und erzählte Welt. Stuttgart: Kohlhammer Verlag.

 


3. Description des temps simples


Cette section donne une description générale des temps verbaux de l’indicatif. Elle comporte deux sous-sections : temps simples et temps composés. La seconde sous-section aborde également les formes de type « aller + Vinf » (temps prospectifs).


3.1. Le Présent

3.1.1. Préalable

Avec l’Imparfait le Présent est certainement, de tous les temps verbaux, celui qui a donné lieu aux divergences d’analyse les plus importantes. Trois conceptions ont principalement été avancées. La première considère que la valeur fondamentale du Présent est de signifier la concomitance avec le moment de l’énonciation, ce temps verbal étant alors déictique au même titre que des adverbes comme maintenant ou aujourd’hui. Cette analyse se trouve déjà chez Aristote, et elle est par exemple celle de Guillaume (1929), Imbs (1960), Benveniste (1970), Gosselin (1996) et beaucoup d’autres. La seconde conception considère que le Présent signifie la concomitance avec un « repère d’actualité », ce repère pouvant faire l’objet de diverses manipulations temporelles et coïncider ou non avec l’énonciation. Cette analyse, dont on trouve déjà des éléments chez Beauzée (1765), a été proposée par Wilmet (1997) et, avec quelques nuances, reprise par Revaz (2002). La troisième conception considère que le Présent est une forme non déterminée temporellement, donc neutre en terme d’époque et non déictique. L’argument de la morphologie est alors régulièrement évoqué, comme indiqué plus haut (§2.2.). Cette conception a été proposée par Damourette & Pichon (1911-1936) et reprise ensuite par plusieurs auteurs, dont Martinet (1979), Serbat (1980, 1988), Touratier (1996), Mellet (2000), Barceló et Bres (2006).

Revenons brièvement à ce qui a été dit plus haut à propos de S et de r0 (§2.3.5.). Beaucoup de travaux omettent de distinguer le moment de l’énonciation de son utilisation comme repère, se bornant simplement à attribuer à l’énonciation le statut de premier repère (origo temporelle). Or, l’énonciation est d’abord un événement, une action située dans le temps et dans l’espace, et ne constitue pas en elle-même un élément linguistiquement pertinent. Elle ne le devient que dans la mesure où elle est utilisée, précisément, comme repère pour des expressions linguistiques (celles, notamment, appartenant aux catégories de la personne, du temps ou de l’espace). Le « repère d’actualité » de Wilmet (1997) ne fait au fond que prendre acte du fait que S, d’une part, et son utilisation comme repère temporel (r0), d’autre part, sont deux choses qu’il convient de dissocier. L’utilisation de S comme repère est seulement le cas par défaut. C’est, moyennant la distinction entre S et r0, la seconde conception que nous adopterons dans cette notice. r0 correspond donc au repère d’actualité de Wilmet [Note 29].

3.1.2. Présent déictique et non-déictique

On distinguera deux familles d’emplois du Présent, en faisant du caractère déictique ou non-déictique le critère central. L’importance accordée à ce critère peut être justifiée comme suit. Quand le Présent est utilisé de façon déictique, c’est-à-dire quand sa référence est localisée dans S, il est soumis à une contrainte tout à fait particulière : l’impossibilité de donner du procès une représentation globale, incluant les bornes initiale et terminale. En un mot le Présent déictique est nécessairement imperfectif. Asserter d’un procès qu’il est le cas dans l’intervalle d’énonciation, c’est nécessairement considérer que la phase initiale de ce procès est advenue et se situe antérieurement à l’énonciation, et que la phase terminale doit encore advenir. Le Présent déictique est donc incompatible avec la perfectivité [Note 30]. Or, il en va différemment, comme on va le voir, des emplois non-déictiques. Ces derniers, selon les circonstances, sont interprétés comme imperfectifs ou perfectifs. Cette différence au plan aspectuel explique que nous accordions ce rôle central à la déixis dans le classement des emplois du Présent.

On peut caractériser le Présent déictique par les trois propriétés suivantes :

– r0 est inclus dans S, soit : r0⊂S ;        
– le temps verbal désigne un intervalle temporel qui est concomitant de S, soit : R=S [Note 31] ; 
– R est inclus dans E, soit : R⊂E.

Les deux premières propriétés concernent le caractère déictique et l’opération de localisation temporelle, la troisième l’aspect imperfectif. Ces relations temporelles peuvent être représentées au moyen du chronogramme de la Figure 3 :

schéma

Par contraste le Présent non-déictique n’est, par définition, sémantiquement attaché à aucune époque particulière. La position de r0 relativement à S est donc ici indifférente. Du point de vue de l’aspect, il peut être imperfectif aussi bien que perfectif (cette variation est expliquée plus loin). Il se caractérise donc par les deux propriétés suivantes :

– r0⊂R 
– R⊆E

Ces relations temporelles sont représentées dans les chronogrammes des Figures 4 et 5 :
schéma

L’inclusion du repère r0 dans R permet de rendre compte de l’effet d’actualité que Wilmet (1997) attache au Présent en général.

3.1.3. Le Présent déictique

Il est susceptible de quatre emplois principaux, que nous appellerons Présent actuel, Présent de temps réel, Présent actuel-habituel et Présent omnitemporel.

3.1.3.1. Présent actuel

L’emploi de Présent actuel consiste à désigner un procès en indiquant que ce procès est concomitant de l’intervalle d’énonciation, comme dans l’exemple suivant :

(1)  Ça va, Denis, c’est pas trop dur ? Tu fais quoi, là, tu te nettoies les genoux ? (A. Jaoui, J.-P. Bacri, 1994)

Les formes verbales de cet extrait indiquent chacune qu’un certain procès est en cours au moment de l’énonciation, ce qui laisse entendre que ces procès ont débuté dans un passé plus ou moins proche et, au moment où ils sont désignés, n’ont pas atteint leur terme.

Il est intéressant de noter que, dans cet exemple, l’intervalle d’énonciation ne correspond pas nécessairement au moment précis où les propos sont tenus. La remarque (1) peut être énoncée peu de temps après le comportement qu’elle décrit. Mais ce comportement est donné comme concomitant du moment présent, et cela seul compte. L’intervalle d’énonciation est toujours peu ou prou un construit langagier.

Certains linguistes, se fondant sur des exemples comme (2), considèrent que l’intervalle temporel que le Présent peut désigner est susceptible de variation, et même de variation importante. Il serait bref dans (2a) et long dans (2c).

(2)  a.  Je suis content de vous revoir.
b.  J’ai une méchante grippe.
c.  Elle habite Genève.

Il y a, dans cette analyse, une confusion entre l’intervalle temporel que désigne la forme verbale et l’intervalle temporel tel qu’il est signifié par le verbe (ou tel que la signification du verbe permet de l’inférer) ; autrement dit confusion entre R et E. L’intervalle temporel auquel réfèrent ces trois énoncés est le même : c’est celui qui correspond à l’intervalle d’énonciation S. Ce n’est pas R qui varie dans ces exemples, mais bien E, et cette variation est tributaire de la signification du verbe, de ses propriétés aspectuelles internes ainsi que de notre expérience et connaissance du monde. Si je dis à mon voisin j’ai une méchante grippe, c’est en vertu de son savoir sur le monde qu’il peut en inférer que cette grippe m’affectait probablement quelques heures ou quelques jours auparavant, et m’affectera vraisemblablement encore demain. Mais, littéralement parlant, je ne fais rien d’autres que d’asserter que la grippe en question a cours au moment où je m’exprime. Loin d’être des contre-exemples, les formulations (2) montrent au contraire tout l’intérêt qu’il y a à distinguer E et R.

L’imperfectivité de ce type de Présent apparaît également dans le fait qu’il est toujours possible d’exprimer par des moyens explicites que E1 est antérieur à R1, et E2 postérieur à R2. C’est ce que font respectivement les formulations (3) et (4). Dans le premier exemple, l’ajout indique que l’état désigné, concomitant de l’énonciation, existe en fait depuis plus d’une semaine ; dans le second exemple, l’ajout indique que l’état désigné, concomitant de l’énonciation, durera probablement une bonne semaine encore.

(3)  J’ai une méchante grippe, et ceci depuis plus d’une semaine.

(4)  J’ai une méchante grippe, et je crois bien que j’en ai pour une bonne semaine encore.

Il en va différemment quand la référence temporelle est spécifiée au moyen d’un complément de localisation temporelle :

(5)  Aujourd’hui Paul est de bonne humeur.

C’est alors l’adverbial (aujourd’hui) qui détermine l’extension de la référence temporelle du temps verbal, ce qui implique ici que S⊂R. L’imperfectivité se justifie par les mêmes raisons que dans les exemples précédents :

schéma
Figure 6 : Chronogramme de l’exemple (5)

Il existe un cas un peu particulier de Présent actuel qui a donné lieu à diverses discussions concernant sa valeur aspectuelle : c’est celui des énoncés performatifs. Quelques linguistes se sont en effet avisés que les formes du Présent de ces énoncés peuvent difficilement être analysées comme imperfectives, et paraissent tout au contraire éminemment perfectives. L’un des premiers à avoir vu ce problème est Koschmieder dans son ouvrage de 1929 (1996). Commentant l’exemple allemand (6) :

(6)  Hiermit eröffne ich die Versammlung. [Je déclare le congrès ouvert]

cet auteur écrit ce qui suit :

[...] cela ne signifie rien d’autre que : « à partir de maintenant, le congrès est ouvert », et non pas : « je viens d’ouvrir le congrès et je vais continuer à l’ouvrir » (Koschmieder 1996, p. 83)

Pour prendre un autre exemple, une formule en fin de message comme Je t’embrasse peut difficilement être interprétée comme imperfective. C’est que, donnée comme substitut verbal conventionnel d’une embrassade effective, elle devient de ce fait même perfective. Il en va de même de l’exemple de Koschmieder.

Cette particularité aspectuelle des énoncés performatifs a été commentée plus tard par quelques auteurs, dont Garey (1957 : 110), Le Goffic (1986 : 63) ou Gosselin (1996 : chap. 6). Citons ici Garey :

The present indicative is imperfective except when the verb designates the very act of making the affirmation in which it figures, as in je vous dis que oui, je demande une explication de votre conduite, j’affirme que tout ce que j’ai dit est vrai. In these sentences the present is perfective. (Garey 1957: 110) [Note 32]

Les rapports entre performativité et valeur aspectuo-temporelle sont complexes et ont parfois conduit à des erreurs d’analyse. Pour ne prendre qu’un exemple, de nombreux auteurs traitent comme des Présents « futuraux » (on dit aussi pro futuro) des expressions qui, de fait, sont produites avec une intention performative et non pas descriptive. Ainsi, des énoncés comme (7) sont souvent décrits comme des Présents à valeur de futur, au motif que le procès qu’ils désignent est postérieur à l’énonciation :

(7)  a.  J’arrive. (En réponse à quelqu’un qui vous appelle)
b.  On vient, on vient ! (idem)

En fait, ce que visent à communiquer ces énoncés, du moins dans l’interprétation envisagée ici, ce n’est pas la représentation d’un procès à venir, aussi proche soit-il du présent. Ce qu’ils visent, c’est bien plutôt de faire passer un dire pour un faire, en général pour satisfaire temporairement une requête plus ou moins pressante [Note 33]. L’effet « heureux » de cette manœuvre ne peut évidemment durer bien longtemps. Mais cela montre que la forme verbale utilisée ici n’a pas, contrairement à ce qu’on affirme souvent, la valeur de futur : le moment où opère cette substitution d’un dire à un faire est bel et bien concomitant de l’énonciation. Ces Présents sont donc on ne peut plus actuels.

3.1.3.2. Présent de temps réel

Nous proposons l’appellation « Présent de temps réel » pour désigner l’emploi qui est fait du Présent quand l’énonciateur rapporte en temps réel ce qu’il perçoit ou ce qu’il appréhende. C’est une sorte de variante narrative du Présent actuel. Une des situations caractéristiques de cet emploi est le reportage, par exemple le reportage sportif. Le discours qui en résulte présente des points communs avec la narration au Présent (Présent « historique »), mais s’en distingue par l’absence de distance – notamment de distance temporelle – entre les événements et le discours qui en fait le compte rendu. Avec le Présent de temps réel, les événements décrits et le discours sont pratiquement simultanés et en relation de synchronisation continue et affichée, le rythme du discours reproduisant celui des événements [Note 34]. Dans le cas de la narration au Présent, au contraire, les événements et le discours qui les narre sont déconnectés temporellement l’un de l’autre. Voici un exemple de séquence de Présents de temps réel :

(8)  Je m’excuse de vociférer, mais en ce moment je suis assiégé par la police, avec des échelles de pompiers qui montent rapidement dans ma direction, des agents, mitraillettes au poing, ululement des sirènes d’angoisse et fusils télescopiques, je risque d’être pris en flagrant délit par des journalistes spécialement expédiés à Caniac dans ce but. (R. Gary, 1976)

Cette synchronisation du discours et de ce qu’il rapporte a comme conséquence que les Présents sont systématiquement interprétés comme imperfectifs (ils pourraient tous être paraphrasés au moyen du tour est en train de), le discours étant immergé dans le présent. Comme on le verra plus loin, l’imperfectivité, du moins l’imperfectivité généralisée comme dans l’exemple ci-dessus, est précisément l’un des points qui différentient le Présent de temps réel, forme déictique du Présent, et le Présent de narration, non déictique. Nous verrons également que le Présent de narration sert parfois à simuler le Présent de temps réel.

3.1.3.3. Présent actuel-habituel

On appelle « habitualité » l’évocation d’un procès quand elle vise à en désigner non pas une occurrence singulière et localisée, mais sa répétition plus ou moins périodique durant un intervalle temporel. En général, cette répétition est présentée comme un attribut caractéristique d’un individu durant cet intervalle. C’est souvent non pas un procès unique qui est habituel, mais une séquence de procès. L’Imparfait a le même type d’emploi (cf. § 3.2.3.2.).

Quand le Présent est celui de l’actualité, l’habitude exprimée concerne le moment de l’énonciation. Toutefois, les Présents habituels ne sont pas systématiquement déictiques : ils se rencontrent également dans la narration au Présent d’événements passés (le Présent narratif n’est pas déictique). Mais les exemples suivants associent bel et bien déicticité et habitualité :

(9)  « La petite dame blonde, lut Rocambole, vient régulièrement tous les jours, vers deux heures, et s’installe chez le père Garin. Elle prend son ouvrage et se met à travailler. Léon Rolland vient tous les jours, sous le prétexte de savoir comment va le vieux bonhomme, mais il cause longtemps avec la petite dame. » (P.A. Ponson du Terrail, 1859)

(10)  Une petite lumière bleue, là-bas, vous la voyez ? Tous les soirs je la regarde et tous les soirs, à cette minute même, elle s’éteint. (J.-P. Sartre, 1951)

Les expressions soulignées jouent évidemment un rôle important dans l’interprétation habituelle de ces Présents. L’habitualité suppose toujours un intervalle temporel, qui peut être ou non spécifié. Ainsi, les extraits ci-dessus pourraient commencer par une expression comme depuis quelque temps, qui donnerait une indication concernant la borne initiale de l’intervalle temporel impliqué par l’habitualité :

(10’)  [...] Depuis quelque temps, tous les soirs je la regarde...

Il est important de voir que ce qui est concomitant de l’énonciation, ce n’est pas ici une instance actuelle de l’un ou l’autre des procès désignés. Interprété comme habituel, l’énoncé le facteur passe vers 8h ne désigne pas une instance actuelle du passage du facteur ; ce qui est concomitant de l’énonciation, c’est l’habitude elle-même. C’est-à-dire, dans ces exemples, la disposition de tel individu à accomplir tel acte à tel moment de la journée.

Il en découle que l’imperfectivité ne porte pas, dans le cas de l’habitualité, sur les procès considérés individuellement [Note 35] . Quand un seul procès est donné comme habituel au moyen d’un Présent, c’est sa répétition périodique qui est représentée comme actuelle et imperfective ; et quand, comme dans les exemples ci-dessus, c’est une séquence plus ou moins longue de procès qui est habituelle, c’est la répétition périodique de la séquence qui est représentée comme actuelle et imperfective. L’imperfectivité tient au fait que dans l’intervalle de l’énonciation, la série constituée par la répétition périodique d’un procès ou d’une séquence de procès ne peut être représentée que de façon incomplète, autrement dit comme ayant déjà commencé, et devant normalement continuer [Note 36] : conférer à un procès ou une séquence de procès un statut d’habitude actuelle présuppose que ce procès ou cette séquence de procès sont déjà advenus antérieurement, et qu’ils continueront à advenir pendant un certain temps.

L’habitualité nous renvoie donc à la notion de portée. Quand un Présent est habituel, les informations temporelles et aspectuelles du grammème portent non sur un procès singulier, mais sur une série formée de la répétition du procès ou de la séquence de procès (un macro-procès).

L’habitualité doit être distinguée de l’itérativité, avec laquelle elle est parfois confondue. Sur la différence entre habitualité et itérativité, voir Bertinetto & Lenci (1986), Kleiber (1987) ainsi que Gosselin (2013, 2020b) [Note 37].

3.1.3.4. Présent omnitemporel

Dans le cas de l’habitualité, le Présent pourrait déjà être qualifié d’« omnitemporel », dans la mesure où, comme on l’a vu, il déborde très largement l’intervalle d’énonciation et implique le passé et le futur. On réservera néanmoins ce qualificatif à des emplois plus généraux, parmi lesquels figurent les emplois dispositionnels (11) et gnomiques (génériques) (12-13) :

(11)  Ce distributeur ne rend pas la monnaie.

(12)  Le Suisse trait sa vache et vit paisiblement. (V. Hugo)

(13)  Un malheur ne vient jamais seul.

En dépit de leur omnitemporalité, ces formulations incluent toujours l’actualité, et c’est la raison pour laquelle on est fondé à les considérer comme déictiques [Note 38]. Un locuteur énonçant – c’est-à-dire utilisant en la citant – la maxime (13) ne peut que considérer que l’assertion qu’il produit alors est valide au moment de son énonciation.

Parmi les emplois gnomiques, on pourrait encore distinguer, d’une part le cas des proverbes et autres formulations figées, dont l’utilisation dans une énonciation est en réalité une forme de discours rapporté sur le mode direct, comme (13) – ce qui confère forcément un statut particulier aux temps verbaux ; et d’autre part, des Présents figurant dans des énoncés librement construits par l’énonciateur, comme dans (14) :

(14)  Madame De Vaubert le suivit longtemps des yeux, puis retomba dans sa rêverie. Elle en sortit souriante et radieuse. Que s’était-il passé ? Qu’était-il advenu ? Moins que rien, une idée. Mais une idée suffit à changer la face du monde. (J. Sandeau, 1848)


3.1.4. Le Présent non-déictique

On distinguera quatre emplois du Présent non-déictiques : le Présent utilisé pour la narration dans le passé, qualifié souvent d’« historique » (Présent narratif) ; le Présent de narration seconde (méta-narratif) ; le Présent habituel passé ; et le Présent utilisé pour évoquer le futur (Présent futural).

3.1.4.1. Présent narratif (« historique »)

C’est le Présent tel qu’il peut être utilisé pour narrer des événements passés, réels ou fictifs. Ce mode de narration existait déjà en ancien français. Techniquement, le Présent narratif consiste à transférer, par convention, le repère r0 dans le passé, donc à le déconnecter de S [Note 39] . D’où des séquences comme la suivante :

(15)  Issu d’une famille de la petite bourgeoisie, il passe son enfance en Corse puis à Dijon. Après des études de droit à Aix-en-Provence, il devient clerc de notaire. Mais, attiré par le spectacle et doté d’une très belle voix, il monte à Paris participer à un radio-crochet [concours de chant] qu’il gagne en 1936. Cela lui permet de débuter dans une revue au Trianon comme danseur et d’entamer un tour de chant dans des cabarets, interprétant de façon lugubre des chansons gaies. Pierre Dac le remarque et l’emmène en tournée. (Biographie de l’acteur Paul Meurisse, Wikipedia, 2019)

Dans cet extrait, les temps verbaux diffèrent aspectuellement des exemples examinés jusqu’ici : ils sont tous interprétés comme perfectifs. C’est en effet l’une des caractéristiques du Présent narratif que de pouvoir référer à l’intégralité du procès signifié par le verbe (R=E). Le texte (15) pourrait être réécrit au Passé simple.

Cependant, les Présents narratifs ne sont pas toujours perfectifs. Leur visée aspectuelle dépend de plusieurs facteurs, le plus décisif étant le type aspectuel du verbe (aspect lexical). Il y a donc ici interférence entre aspect lexical et aspect grammatical. La principale régularité observée est la suivante (Gosselin 2005) : quand le verbe ou l’expression verbale est télique et/ou instantané (verbes transitionnels duratifs ou instantanés, ou non-transitionnels instantanés), comme c’est le cas dans toutes les formes de l’extrait ci-dessus, le Présent narratif produit un aspect perfectif ; sinon (verbes non transitionnels duratifs) il produit un aspect imperfectif. D’autres facteurs encore peuvent intervenir, que nous ne développerons pas ici (voir Gosselin 2005, en particulier Chap. 4).

Dans l’exemple suivant, plusieurs expressions verbales sont atéliques : être sur la route, avoir les larmes aux yeux, aller (bien ou mal), falloir ; le Présent de ces expressions verbale est chaque fois imperfectif. Quant aux verbes téliques et/ou instantanés (remarquer, demander, avouer), ils produisent une lecture perfective [Note 40] :

(16)  Aujourd’hui, je suis sur la route avec mon apprenti depuis plus d’une heure quand je remarque qu’il a les larmes aux yeux. Je lui demande ce qui ne va pas et il m’avoue qu’il a uriné dans son pantalon. Trop timide, il n’a pas osé me demander de m’arrêter. Il faut faire demi-tour pour qu’il se change. (Forum VDM, 30.11.2018)

L’imperfectivité du premier verbe est confortée par la présence de l’adverbial depuis plus d’une heure, qui serait incompatible avec une forme verbale perfective [Note 41].

Ces fluctuations de l’aspect grammatical selon le type aspectuel du verbe sont des faits relevant de l’interprétation. Elles apparaissent clairement si l’on transpose (16) au passé, selon les principes d’une narration classique alternant Passé simple et Imparfait. Il y a évidemment différentes façons de concevoir cette transposition, mais la plus standard serait vraisemblablement la suivante :

(16’)  Ce jour-là, j’étais sur la route avec mon apprenti depuis plus d’une heure quand je remarquai qu’il avait les larmes aux yeux. Je lui demandai ce qui n’allait pas et il m’avoua qu’il avait uriné dans son pantalon. Trop timide, il n’avait pas osé me demander de m’arrêter. Il fallait / fallut faire demi-tour pour qu’il se change. (ex. modifié)

On s’aperçoit que la manière la plus naturelle, ou spontanée, de concevoir cette transposition consiste à remplacer le Présent des verbes atéliques par un Imparfait (procès ne faisant pas progresser la référence temporelle), et celui des verbes téliques par un Passé simple (procès faisant progresser la référence temporelle). Le dernier verbe (falloir), selon la façon dont on l’interprète, peut s’entendre comme imperfectif ou perfectif, d’où les deux transpositions fallait fallut. Dans la première, l’expression décrit la situation dans laquelle se trouvent les deux protagonistes à cette phase des événements :

il fallait faire demi-tour ≈ ‘il y avait nécessité de faire demi-tour

Dans la seconde, elle fait de cette situation un événement en soi et inclut pratiquement la décision de faire demi-tour :

il fallut faire demi-tour ≈ ‘nous fûmes contraints de faire demi-tour’, voire ‘nous décidâmes de faire demi-tour

Cette manipulation montre que, quand la narration utilise des temps du passé, le contraste imperfectif / perfectif, qui permet de diversifier la façon de représenter les procès, est un fait grammatical : il est marqué par le choix du temps verbal. Tandis que quand la narration est au Présent, ce même contraste est formellement neutralisé et devient un fait purement interprétatif. Le principal facteur guidant cette interprétation est alors l’aspect lexical du verbe ou de l’expression verbale.

Il est assez fréquent que le Présent narratif intervienne au milieu d’une narration par ailleurs à un temps du passé. On trouve plusieurs séquences de ce type dans les Rêveries du promeneur solitaire de J.-J. Rousseau. On en a vu un exemple plus haut (ex. 3b). En voici un autre :

(17)  Il y a deux ans que m’étant allé promener du côté de la Nouvelle-France, je poussai plus loin, puis tirant à gauche et voulant tourner autour de Montmartre, je traversai le village de Clignancourt. Je marchais distrait et rêvant sans regarder autour de moi quand tout à coup je me sentis saisir les genoux. Je regarde et je vois un petit enfant de cinq ou six ans qui serrait mes genoux de toute sa force en me regardant d’un air si familier et si caressant que mes entrailles s’émurent et je me disais : c’est ainsi que j’aurais été traité des miens. Je pris l’enfant dans mes bras, je le baisai plusieurs fois dans une espèce de transport et puis je continuai mon chemin.  (J.-J. Rousseau, Les Rêveries du promeneur solitaire, Neuvième promenade, 1776)

Le fait même de changer de temps verbal confère à la séquence narrative une organisation interne, en contrastant différentes phases. Dans l’extrait (17) : une phase au Passé simple, suivie d’une courte phase au Présent, elle-même suivie d’un retour au Passé simple. On notera que dans cet extrait, le retour aux temps du passé se fait dans la même phrase graphique que celle où sont utilisés les deux Présents, et à l’occasion d’une coordination (je vois un petit enfant de cinq ou six ans qui serrait mes genoux).

Nous avions déjà noté deux différences importantes entre le Présent de temps réel et le Présent narratif. Il y en a maintenant une troisième.

(i) La première est le décalage temporel entre les événements décrits et leur description : décalage inexistant dans le cas du Présent de temps réel, qui construit un discours synchrone de ce qu’il décrit ; décalage important dans le cas du Présent narratif, qui construit un discours temporellement indépendant, « découplé » (Gosselin 2005) de ce qu’il décrit.

(ii) La deuxième différence concerne l’aspect : les Présents de temps réel sont, de par la situation même, imperfectifs ; tandis que les Présents narratifs produisent une valeur aspectuelle variable, tributaire principalement de l’aspect lexical du verbe.

(iii) La troisième différence est la possibilité, dans le cas du Présent narratif, de changer de convention et de repasser à des temps du passé, comme dans (17), chose évidemment improbable avec le Présent de temps réel.

Néanmoins, la frontière entre ces deux variétés de Présents n’est pas complètement étanche. Il arrive que la narration d’événements passés, par divers subterfuges, simule la situation du compte rendu en temps réel. C’est ce qu’on observe dans l’extrait suivant :

(18)  l’entretien s’étire en longueur, une demi-heure, trois quarts d’heure, une heure maintenant (narration historique, émission de Radio-classique, 2019)

Ces reformulations successives et croissantes de la durée de l’entretien (une demi-heure, trois quarts d’heure...) visent de toute évidence à suggérer, en accéléré, un compte rendu en temps réel de l’entretien dont il est question. Il s’agit pourtant bien ici d’une narration dans le passé, avec un Présent narratif qui n’est pas déictique. Le fait même que le texte enchaîne trois durées différentes et croissantes, accélérant ainsi le cours du temps, en est en quelque sorte l’attestation.

Ce phénomène, qu’on décrit parfois comme une manifestation d’iconicité, se rencontre également quand la narration utilise des temps du passé :

(19)  Naturellement, arrivé à proximité de l’Institut [...], il n’avait pu se résoudre à rien d’autre, qu’à faire le tour une fois, deux fois, de la grille de l’enceinte [...]. (L. Visconti, trad. franç. 1993)

3.1.4.2. Présent de narration seconde (méta-narratif)

Dans certains types de narrations, comme les blagues, le Présent est quasi systématique (Barcelo & Bres 2006). Il est également très fréquent dans les résumés de narrations (de romans ou de films, par exemple). Ces genres présentent une propriété sémiotique tout à fait particulière : c’est d’être des comptes rendus d’une réalité elle-même déjà narrative, d’être des narrations de narrations, des narrations « secondes » [Note 42].

(20)  Un autobus emmène des politiciens à un congrès. L’autobus quitte la route et s’écrase contre un arbre dans le pré d’un vieil agriculteur. Le vieil agriculteur se rend sur les lieux de l’accident. Il creuse alors un trou et enterre les politiciens. Quelques jours après, le shérif local passe sur la route, voit l’autobus écrasé, et demande à l’agriculteur où sont passés tous les politiciens. Le vieil agriculteur lui dit qu’il les a tous enterrés. Le shérif demande alors au vieil agriculteur : « Étaient-ils tous morts ? ». Le vieil agriculteur répond : « Bien, certains parmi eux disaient qu’ils n’étaient pas morts, mais vous savez comment mentent les politiciens. » (site d’histoires drôles)

(21)  Ruka, jeune collégienne, vit avec sa mère avec qui elle ne s’entend pas toujours très bien. Elle se consacre à sa passion, le handball. Hélas, elle se fait injustement exclure de son équipe le premier jour des vacances. Furieuse et désœuvrée, elle erre dans la ville et décide de rendre visite à son père à l’aquarium où il travaille. Elle y rencontre un étrange garçon, Umi, qui joue avec les poissons dans un des bassins. Il semble avoir le don de communiquer avec les animaux aquatiques. Ruka est fascinée et se lie très vite d’amitié avec lui. Un soir, alors qu’ils sont tous deux au bord de l’eau, des évènements surnaturels se produisent. (Résumé du film Les enfants de la mer, 2019).

Comme le Présent narratif, le Présent de narration seconde produit des interprétations aspectuelles qui varient essentiellement en fonction de l’aspect lexical du verbe ou de l’expression verbale. Dans (21), les trois premières formes vit, s’entend, se consacre décrivent manifestement l’arrière-plan du récit proprement dit et sont donc préférentiellement interprétées comme imperfectives. La narration proprement dite débute avec hélas : se fait exclure, erre et décide sont préférentiellement interprétées comme perfectives ; ensuite encore, travaille est interprété comme imperfectif ; etc.

Il existe une variante passée des narrations secondes, qui utilise l’Imparfait (voir la section consacrée à ce temps verbal).

3.1.4.3. Présent habituel passé

En contexte de Présent narratif, le Présent peut être associé à l’expression de l’habitualité. Il est alors nécessairement imperfectif, pour les raisons exposées plus haut. L’extrait ci-dessous est intégralement à comprendre sous le mode de l’habitualité (cf. invariablement, en général) :

(22)  Et Mlle Ginsbourg lui [à Mme Fossé] répond invariablement qu’en effet, il y a de l’abus. Après qu’elle [Mme Fossé] s’est plainte, sa voix se fait plus douce, et en général elle parle de la journée qu’il va faire. Elle dit « [...] ». Mlle Ginsbourg approuve ou ajoute quelques nuances [...]. (M. Duras, 2006)

3.1.4.4. Présent futural

Nous avons vu (§ 3.1.3.1.) que certains emplois du Présent sont parfois considérés à tort comme ayant une valeur de futur, par méconnaissance de leur intention performative. Il existe cependant des cas où la performativité ne saurait être en cause. Voyons quelques exemples de plus près.

(23)  Demain je pars pour Budapest ; dans six jours je dois être à Rome. Ici et là sont des amis que je veux embrasser avant de quitter l’Europe. (A. Gide, 1902)

(24)  Jeudi prochain, je suis invité à aller voir Metropolis avec Castro. (C. Mauriac, 1983)

Dans (23), la première forme verbale (je pars) semble bien désigner un procès à venir. Mais le second Présent est beaucoup moins clair. Quelle est ici la portée du circonstanciel dans six jours ? Ce n’est pas le verbe devoir, comme la syntaxe semble l’indiquer, mais la proposition infinitive « moi être à Rome ». Cet énoncé signifie de fait ‘il y a (en ce moment) pour moi une obligation, qui est d’être à Rome dans six jours’. Cette glose montre que la modalité (déontique ou aléthique, peu importe ici) exprimée par je dois décrit en réalité l’état psychologique du locuteur au moment de l’énonciation. Du coup, ce Présent peut être analysé comme un Présent actuel, et n’a d’un temps futur que les apparences. Les deux derniers verbes de cet exemple sont des Présents actuels tout à fait ordinaires, et il n’est pas possible d’y voir une quelconque valeur de futur : au moment de l’énonciation, certains amis sont à Budapest, d’autres à Rome ; et la volonté de les embrasser caractérise l’état psychologique du locuteur au moment de l’énonciation.

Mais l’analyse de je dois jette rétrospectivement la suspicion sur le diagnostic donné précédemment à demain je pars. Ce Présent a-t-il vraiment une signification de Futur ? plus exactement, concerne-t-il bien le départ proprement dit ? L’extrait cité étant consacré à la description d’un voyage planifié, on peut voir dans le Présent de je pars l’expression de l’état de décision ou de certitude dans lequel se trouve le locuteur, au moment de l’énonciation, concernant ce départ pour Budapest [Note 43]. Cette analyse fait de cette forme un Présent actuel également.

On retrouve donc ici la question de la portée du temps verbal, et il est maintenant possible de décrire la différence entre demain je partirai pour Budapest, et demain je pars pour Budapest de la façon suivante : dans la première formulation, le Futur porte sur le procès, tandis que dans la seconde, le Présent porte sur la validité du procès (le procès est présenté comme certain au moment de l’énonciation). Cette distinction entre procès et validité du procès sera utile pour décrire d’autres phénomènes concernant d’autres temps verbaux.

L’exemple (24) est en tous points analogue au Présent de je pars et s’explique de la même manière.

Comme on le voit, on peut se demander si l’idée même de Présent futural ne résulte pas, en définitive, de l’erreur consistant à penser que les temps verbaux localisent toujours le procès exprimé par le verbe. Quoi qu’il en soit, deux types de faits au moins permettent de ramener les Présents (apparemment) futuraux à des Présents actuels ordinaires : la performativité (cf. § 3.1.3.1.) et le fait de porter sur la validité du procès plutôt que sur le procès.

Un dernier exemple permet d’illustrer ce problème : c’est la formulation des rendez-vous. Dans cette fonction, nous produisons couramment des énoncés comme ci-dessous :

(25)  J’ai rendez-vous vendredi chez le notaire pour le démarrage de notre liquidation. (Forum internet, 06.03.2012)

(26)  J’avais normalement rendez-vous lundi prochain avec ma gynécologue pour une échographie de contrôle 15 jours après la 1ère échographie après prise de sang !! Elle m’a Tel il y a 2h car lundi elle annule ses rendez-vous [...]. (Forum internet, 01.03.2018)

La formulation d’un rendez-vous est un cas intéressant car elle implique deux moments : celui de la rencontre proprement dite (moment du procès), et celui où cette rencontre est considérée comme « mise à l’agenda » (moment de la validité du procès). Il se trouve qu’en français, la pratique est de régler le choix du temps verbal sur le second moment, d’où des formulations comme celles ci-dessus.

Le Présent de (25) n’est donc pas futural. Si le temps verbal était réglé sur le moment de la rencontre (J’aurai rendez-vous vendredi chez le notaire...), cela suggérerait que, au moment de l’énonciation, le rendez-vous n’est pas encore à l’agenda, du moins pas de façon définitive. Ce qui serait à venir, ce serait alors la validité du procès.

L’exemple (26) est un peu différent. L’Imparfait pourrait certes y être remplacé par un Présent. Mais ici, il permet de situer dans le passé le moment où le rendez-vous est considéré comme étant à l’agenda. Cette information est confirmée ensuite, puisqu’on apprend que le rendez-vous a en fait été annulé. L’Imparfait rejette dans le passé le moment où le procès est considéré comme valide.

3.1.5. Références bibliographiques

Ouvrages sur le Présent

Despierres Claire, Krazem Mustapha (2005). Du présent de l’indicatif. Dijon : Université de Bourgogne & Centre Gaston Bachelard.

Numéros de revues consacrés au Présent

Cahiers Chronos 7, 2001 : Le présent en français (P. Le Goffic, éd.).
Travaux de linguistique 40, 2000 : Le présent (C. Benninger, A. Carlier & V. Lagae, éds).


3.2. L’Imparfait

(Voir aussi la notice consacrée spécifiquement à ce temps verbal   >Notice .)

3.2.1. Présentation générale

L’Imparfait est le temps verbal qui a donné lieu au plus grand nombre de travaux. Deux conceptions principales s’affrontent quant à sa valeur de base.

Selon la première, l’Imparfait est un temps verbal qui exprime non le passé mais l’inactuel. Cette conception est par exemple celle de Damourette et Pichon (1911-1936, tome 5, § 1726 et suiv.), Burger (1961), Coseriu (1980), Le Goffic (1986, 1995), Touratier (1996), De Mulder (2004) et Vetters (2001, 2003, 2017). Par « inactuel », il faut comprendre le fait d’indiquer que le procès désigné se situe dans un univers autre, disjoint de l’univers des interlocuteurs, quelle que soit la raison de cette disjonction. Cette inactualité peut s’entendre de deux façons : ou bien le procès désigné se situe dans un univers de pure construction : hypothétique, imaginaire, contrefactuel, etc. ; ou bien il se situe dans le passé – le passé étant compris comme un mode d’inactualité parmi d’autres. Mais les défenseurs de cette conception considèrent l’inactualité comme la valeur première et rejettent en général tout lien direct entre Imparfait et passé.

Selon la seconde conception, l’Imparfait est un temps verbal qui exprime essentiellement le passé, les emplois hypothétiques, imaginaires, contrefactuels, etc. étant dérivés et nécessitant des contextes particuliers. Telle est la position qu’adoptent par exemple Beauzée (1765), Guillaume (1929), Imbs (1960), Gosselin (1996), Wilmet (1997), Bres (2000), Patard (2007).

C’est cette seconde conception qu’on adoptera ici, et l’on fera donc du passé la valeur « de base » du grammème d’Imparfait.

Dans la description de ce temps verbal, un point paraît cependant réunir la majorité des chercheurs. Il s’agit de l’aspect [Note 44]. L’Imparfait présente la propriété de donner du procès signifié par le verbe une représentation partielle, incomplète : sa référence (R) débute à un moment où une portion du procès est déjà accomplie, et se termine alors qu’une autre portion est encore à accomplir. En un mot c’est un temps imperfectif (RÌE).

Au total, l’Imparfait se caractérise par les propriétés suivantes :

– r0 est inclus dans S, soit : r0⊂S          
– R est antérieur à S, soit R – R est inclus dans E, soit : R⊂E

L’antériorité de R par rapport au couple S et r0 le décrit comme temps du passé, et l’inclusion de R dans E comme temps imperfectif.

Ce que l’Imparfait localise intégralement dans le passé, c’est donc seulement R, de sorte que la localisation temporelle de la borne E2 est indéterminée en terme d’époque. La seule information que le temps verbal donne concernant cette borne est qu’elle est postérieure à R2. Ces relations temporelles sont représentées dans le chronogramme de la Figure 7 :

schéma

Le pointillé allant de E2 en direction de S1 et au-delà indique que E2, borne terminale de E, qui par définition n’est pas incluse dans R, a une localisation flottante et peut être située jusque dans S et au-delà. Dans le modèle topologique de Desclés (cf. De Glas & Desclés 1996), cette borne serait donc ouverte.

Cette observation montre que les relations temporelles décrites plus haut, à savoir R<S et R⊂E, doivent être comprises dans cet ordre ; et non pas, par exemple : E<S et R⊂E. Cette dernière présentation ne rendrait pas compte du fait que E2 peut être localisé dans S ou postérieurement à S, et ne correspondrait donc pas au chronogramme de la Figure 7. Ce qui caractérise un temps verbal comme « passé », c’est l’antériorité de R relativement à S, et non, comme le perpétue une certaine tradition, celle de E relativement à S.

Les deux bornes E1 et E2 n’ont par conséquent pas le même statut. Du fait que le procès est présenté comme étant en cours, donc partiellement advenu, l’existence de E1 est présupposée (le procès est présupposé avoir débuté) et cette borne est nécessairement localisée dans le passé. Il en va différemment de E2, puisque rien n’assure que le procès est allé ou ira jusqu’à son terme. La possibilité existe par conséquent, en particulier quand il s’agit d’un passé non fictif et récent, que le procès ne soit pas achevé au moment de l’énonciation. C’est ce que montre l’exemple suivant, emprunté à Barceló & Bres (2006) :

(1)  Ami d’Eric :  bonjour, est-ce que je peux parler à Eric ?
   Père d’Eric :  attends, je vais voir, parce que je viens de rentrer et il était sous la douche. (Conversation téléphonique, in Barceló & Bres 2006 : 47)

La représentation que produit cet Imparfait est seulement que, au moment où le père est rentré, Eric était (déjà) sous la douche. Mais cette représentation n’indique pas si, au moment de l’énonciation, Eric est encore ou n’est plus sous la douche. Le type de l’expression verbale (être sous la douche, expression signifiant un état occupant une certaine durée) est évidemment l’un des facteurs rendant possible cette interprétation.

L’imperfectivité de l’Imparfait se manifeste par exemple dans le fait qu’il est toujours possible d’exprimer, par des moyens explicites, que E1 est antérieur à R1, ou E2 postérieur à R2. C’est ce que font respectivement les deux formulations suivantes :

(2)  Il était malade, et cela depuis plusieurs jours.

(3)  Il était malade, et cela allait encore durer plusieurs semaines.

Cette imperfectivité a pour corollaire une forte préférence pour les verbes et expressions verbales exprimant un procès duratif et non-transitionnel, i.e. qui n’a pas de fin naturelle (états et activités, au sens de Vendler 1957). Selon les relevés de Patard (2007), trois Imparfaits sur quatre environ sont employés avec ce type de verbe. Il y a donc ici une corrélation frappante entre aspect grammatical et aspect lexical.

3.2.2. L’analyse de Ducrot (1979)

Dans l’histoire des travaux sur l’Imparfait, un article a joué un rôle particulièrement important : celui d’O. Ducrot paru dans la revue Linguistische Berichte en 1979. Selon les analyses de cet auteur, un énoncé à l’Imparfait se caractérise principalement par le fait qu’il porte sur un « thème temporel ». Ce thème n’est d’ailleurs, en général, pas purement temporel et associe une « période » (i.e. un intervalle temporel), un référent et une perspective [Note 45]. Le procès désigné par le verbe à l’Imparfait est alors présenté comme une propriété caractéristique du thème temporel, comme une « qualification » générale de ce dernier. Soit l’exemple suivant, repris de cet article :

(4)  L’année dernière je déménageais. (Ducrot 1979)

En produisant (4), l’énonciateur veut signifier que durant l’intervalle temporel indiqué par l’année dernière a eu lieu un événement particulièrement significatif pour lui et que cet événement est son déménagement. Cet événement est donné comme un attribut représentatif de la période considérée, du moins dans le contexte envisagé ici.

De là, selon Ducrot, le fait que ce type d’énoncé puisse être utilisé pour marquer un contraste. Ainsi, une formulation comme (5), en raison du type de procès, peut paraître bizarre : on peine en effet à concevoir que l’achat d’un appareil de photo puisse être tenu comme significatif de ce qui s’est passé durant une année.

(5)  L’année dernière j’achetais un appareil de photo. (Ducrot 1979)

Il suffit cependant d’insérer (5) dans un discours où l’énonciateur comparerait, en les opposant, les dépenses qu’il a faites l’année actuelle et l’année précédente pour que ce même Imparfait paraisse tout à fait motivé, comme le fait voir (6) :

(6)  L’année dernière j’achetais un appareil de photo dont je n’avais nul besoin, et, cette année, je n’ai même pas de quoi me payer le cinéma. (Ducrot 1979)

La perspective dans laquelle se place l’énonciateur est ici la situation financière dans laquelle il se trouve actuellement et s’est trouvé l’année précédente. Cette manipulation montre qu’un emploi de l’Imparfait à première vue peu vraisemblable, comme (5), apparaît banal dès lors qu’on l’insère dans un contexte et une perspective qui lui confèrent toute sa motivation ; ici : un contexte argumentatif mettant en contraste des localisations temporelles (l’année dernière / cette année), deux achats (un appareil photo / une place de cinéma) et une perspective particulière (la situation financière du locuteur). Cette dernière est le tertium comparationis de l’opération de comparaison.

L’analyse de Ducrot met en évidence les points suivants :

Le premier est un type de présupposition : l’Imparfait présuppose l’existence préalable d’un thème temporel. Lorsque je dis Pierre mangeait, je qualifie un moment du passé (thème temporel) relativement à un individu nommé Pierre, ce moment et cet individu étant supposés connus. L’énoncé serait dépourvu de toute pertinence, et ininterprétable, sans la connaissance préalable de ces deux informations. Cela revient à dire que quand cette information n’est pas explicitement donnée, et que le contexte ne permet pas de la reconstituer, l’énoncé à l’Imparfait est sémantiquement incomplet, et donc pragmatiquement inapproprié [Note 46].

Le second point réside dans le type de représentation que donne l’Imparfait du procès qu’il désigne. Ducrot donne peu d’indications à ce propos, mais on peut inférer de son article qu’un procès désigné à l’Imparfait n’est pas représenté comme un événement ou une action, mais comme une « propriété » (Anscombre 1992) ; sa fonction est de « qualifier » ce qui est advenu à l’intérieur d’un certain intervalle temporel. On rejoint ici, d’une certaine manière, l’idée ancienne de l’Imparfait comme temps descriptif, mais formulée de façon beaucoup plus complexe. Cette représentation est une conséquence directe de l’imperfectivité, et, comme nous le verrons, une constante de ce temps verbal.

Le troisième point, qui découle du précédent, est que la caractérisation que donne l’Imparfait, la propriété qu’il attribue, l’est de façon homogène dans l’intervalle temporel considéré (Anscombre 1992). Dans (6), j’achetais un appareil de photo ne concerne pas une portion seulement de l’année considérée (bien qu’on sache par ailleurs que ce type d’achat ne requiert pas beaucoup de temps). Cette année n’est pas représentée comme une succession d’instants mais comme une totalité indécomposable. C’est à cette totalité qu’est attribuée la propriété décrite par la prédication à l’Imparfait.

Nous reviendrons plus loin sur certains éléments de l’analyse de Ducrot.

Dans ce qui suit, on décrira les différents emplois de l’Imparfait en les répartissant dans trois catégories principales : les Imparfaits purement temporels, les Imparfaits médiatifs et les Imparfaits modaux.

3.2.3. L’Imparfait purement temporel

3.2.3.1. Imparfait désignant un procès singulier

Ce premier emploi est présenté par la plupart des linguistes comme standard et donc considéré, explicitement ou implicitement, comme actualisant la valeur « de base » de ce temps verbal. Ce choix est évidemment discutable, mais c’est cependant par cet emploi que nous commencerons. En voici un premier exemple :

(7)  Quand il est entré dans l’estaminet des Hirondelles, tout y était paisible à son ordinaire. Il y avait la patronne qui bavardait avec un vieux monsieur à une table, et les filles les seins en l’air, avec leurs bas et leurs écharpes qui traînaient sur les banquettes. (L. Aragon, 1947)

Les procès désignés par ces Imparfaits sont tous représentés avec une visée imperfective : ils étaient en cours au moment où « il » est entré dans l’estaminet et, à cet égard, caractérisent ce moment. Leur borne initiale n’est donc pas incluse dans la référence temporelle, pas plus que leur borne terminale.

En contexte narratif, un effet régulièrement mentionné de l’Imparfait est qu’il produit une interruption de la progression temporelle – cette progression ne reprenant que lorsqu’intervient ensuite un Passé simple ou un Passé composé. Ce phénomène est déjà observable dans (7). En voici deux autres illustrations :

(8)  J’étais donc là environ depuis un semestre, tout aussi tranquille que mes hôtes, [...] quand un jour, en descendant pour dîner à l’heure accoutumée, j’aperçus dans un coin de la salle à manger une grande personne qui, debout et sur la pointe des pieds, suspendait par les rubans son chapeau à une patère, comme une femme parfaitement chez elle et qui vient de rentrer. Cambrée à outrance, comme elle l’était, pour accrocher son chapeau à cette patère placée très haut, elle déployait la taille superbe d’une danseuse qui se renverse [...]. Les bras encore en l’air, elle se retourna en m’entendant entrer, et elle imprima à sa nuque une torsion qui me fit voir son visage ; (J. Barbey d’Aurevilly, 1874)

(9)  Il m’a expliqué alors que c’était pour cela qu’il avait besoin d’un conseil. Il s’est arrêté pour régler la mèche de la lampe qui charbonnait. Moi, je l’écoutais toujours. J’avais bu près d’un litre de vin et j’avais très chaud aux tempes. Je fumais les cigarettes de Raymond parce qu’il ne m’en restait plus. Les derniers trams passaient et emportaient avec eux les bruits maintenant lointains du faubourg. Raymond a continué... (A. Camus, 1942)

3.2.3.2. Imparfait habituel

C’est l’équivalent, dans le passé, du Présent habituel. Il désigne donc non pas une occurrence singulière et localisée du procès signifié par le verbe, mais la répétition de ce procès durant un certain intervalle temporel, répétition constituant un attribut caractéristique de cet intervalle (cf. les analyse de Ducrot exposées ci-dessus). Comme avec le Présent, c’est souvent une séquence de procès qui est ainsi convertie en habitude :

(10)  La nuit, il se servait de ses armes aussi facilement que le jour, et l’on m’a cité de lui ce trait d’adresse qui paraîtra peut-être incroyable à qui n’a pas voyagé en Corse. À quatre-vingts pas, on plaçait une chandelle allumée derrière un transparent de papier, large comme une assiette. Il mettait en joue, puis on éteignait la chandelle, et, au bout d’une minute dans l’obscurité la plus complète, il tirait et perçait le transparent trois fois sur quatre. (P. Mérimée, 1929)

(11)  Il est difficile de tirer un mot d’un homme âgé, genre artiste, qui buvait du Vittel, fumait de la cigarette anglaise, changeait de chemise chaque jour et avait une cravate à pois. (J. Giono, 1982)

Dans (10), le premier Imparfait donne une caractérisation générale du personnage de Mateo Falcone (se servait) ; les suivants s’inscrivent dans une séquence répétée de procès : plaçait, mettait, éteignait, etc.

L’exemple (11) est un peu différent, puisqu’ici les procès ne forment pas une séquence. Ils sont tous donnés comme autant de caractéristiques du même personnage. Ces Imparfaits n’en sont pas moins habituels. L’habitualité peut donc être narrative aussi bien que non-narrative.

Il est intéressant d’observer que l’idée de répétition, que nous avons utilisée jusqu’ici pour décrire l’habitualité, est davantage virtuelle que réelle. L’extrait de Mérimée, décrivant l’habileté de Mateo Falcone dans le maniement des armes à feu, ne signifie pas vraiment que la séquence des procès désignés par ces Imparfaits est advenue plusieurs fois. Cette séquence est plutôt donnée comme représentative de l’habileté du personnage, ce qui est tout à fait différent. Il pourrait en fait s’agir d’un exploit unique transformé mythiquement en habitude. C’est la raison pour laquelle Comrie (1976) note qu’un procès peut être présenté comme habituel sans pour autant que cela implique la moindre répétition [Note 47]. Il y a là une raison supplémentaire pour distinguer habitualité et itérativité.

Les procès désignés sur le mode de l’habitualité le sont nécessairement avec une visée imperfective. Mais, comme avec le Présent habituel, les informations apportées par l’Imparfait (passé et imperfectivité) ne portent pas sur un procès singulier, ou une séquence singulière de procès, mais sur la série, le « macro-procès » que constitue la répétition de ce procès ou de cette séquence (Gosselin 1999). C’est cette série qui est localisée dans le passé et représentée comme imperfective, donc incomplètement.

L’Imparfait habituel a donc beaucoup de points communs avec l’Imparfait désignant un procès singulier : la seule différence est que R et E y incluent virtuellement plusieurs instances du même procès, ou de la même séquence de procès. Et, comme avec l’Imparfait désignant un procès singulier, le temps verbal n’y spécifie pas si l’habitude se poursuit ou non au moment de l’énonciation. D’où le chronogramme de la Figure 8 :

schéma

Certains verbes incitent plus ou moins fortement à une lecture habituelle. C’est par exemple le cas des verbes désignant un procès instantané (achèvement ou point), ainsi que des verbes désignant un procès non-transitionnel duratif (activité) lorsqu’un complément en délimite la durée.

– Les procès instantanés sont par nature peu compatibles avec l’imperfectivité. C’est pourquoi une formulation comme (12), sortie de tout contexte, est assez spontanément interprétée comme désignant non pas un procès singulier mais précisément un procès habituel, caractérisant les actions d’un certain individu durant un certain intervalle temporel.

(12)  Il entrait dans la salle d’audience.

(12) est pourtant extrait d’une séquence qui n’est pas habituelle :

(12’)  Comme il entrait dans la salle d’audience, le petit vieillard lui cria joyeusement :
– Voici une bonne chose qui vous surprendra. (M. Barrès, 1922)

– Les procès non-transitionnels duratifs, lorsque leur durée est bornée par un complément (par ex. un complément de type « pendant + durée »), sont eux aussi peu compatibles avec l’imperfectivité. Le complément contraint en effet la référence temporelle à coïncider avec l’intervalle du procès (R=E), ce qui est contraire à la visée imperfective de l’Imparfait. Ici encore, une façon de résoudre ce conflit est d’interpréter la forme verbale comme désignant non un procès singulier mais un procès habituel [Note 48] :

(13)  [Il est question d’une femme qui accompagne au piano des films muets]  
La mère jouait pendant deux heures. Il lui était impossible de suivre le film sur l’écran : le piano était non seulement sur le même plan que l’écran mais bien au-dessous du niveau de la salle. En dix ans la mère n’avait pas pu voir un seul film. (M. Duras, 1950)

3.2.3.3. Imparfait narratif

Cet emploi a donné lieu à de multiples définitions, analyses et controverses, portant aussi bien sur sa description que sur sa délimitation [Note 49]. On peut cependant caractériser sommairement l’Imparfait narratif de la façon suivante.

D’ordinaire, quand il désigne un procès singulier dans un environnement narratif, l’Imparfait est imperfectif et ne fait pas progresser la référence temporelle : il interrompt le cours de la narration (cf. ci-dessus). Pourtant il existe des emplois où, tout au contraire, ce même temps verbal est utilisé dans des séquences plus ou moins longues dans lesquelles il désigne des procès qui se succèdent. Il est alors associé à une progression de la référence temporelle et donc – du moins on pourrait le penser –  à une forme de perfectivité. C’est ce type d’emploi que l’on qualifie habituellement, depuis un article de Muller (1966), de narratif. Voyons un premier exemple, extrait d’un compte rendu de match de football (les expressions soulignées ne sont pas directement concernées mais font plus loin l’objet d’un commentaire) :

(14)  Il restait à concrétiser cela [la supériorité des Français] et ce fut fait également avec une belle diligence. Malouda, encore et toujours lui, sautait sur un ballon bêtement perdu par Maierhofer pas loin de sa surface et sur son centre ultra-précis, Benzema sprintait plein champ et plaçait une tête plongeante magistrale (1–0, 18’). Cette fois, la machine était lancée. Les Autrichiens disparaissaient du trafic au fur et à mesure que la vitesse des Bleus affolait leur défense. Le deuxième but venait au terme d’une action collective de grande classe. Fanni était balayé par derrière par Fuchs. Henry, en force, convertissait le penalty et complétait sa collection personnelle avec un 51e but chez les Bleus (2–0, 26’). [...]. (L’Est-Républicain, 15.10.2009)

Hormis un Passé simple à la première ligne, cet extrait est entièrement formulé à l’Imparfait. Toutefois ces Imparfaits n’ont pas tous le même statut. Certains seulement sont associés à une progression temporelle et sont narratifs : il s’agit de la séquence : Malouda... sautait sur un ballon..., Benzema sprintait... et plaçait une tête... Mais l’Imparfait qui précède et annonce cette séquence (il restait) est un Imparfait ordinaire, figurant dans un énoncé qui est un commentaire sur un état du match. Il en va de même de celui qui suit immédiatement cette séquence (était lancée). En fait, la « narration » ne reprend que plus loin : Fanni était balayé..., Henry, en force, convertissait... et complétait... Seuls les Imparfaits en gras sont narratifs.

Comme on le voit, le fait d’utiliser le même temps verbal dans tout l’extrait a pour conséquence d’« écraser » ces différences de statut de l’Imparfait (de la même façon que le Présent de narration écrase la différence entre procès représenté perfectivement et imperfectivement). Mais, du point de vue de l’interprétation, il n’en sont pas moins de deux types : l’un qui interrompt la progression temporelle de la référence et paraît avoir une fonction essentiellement descriptive ; l’autre qui fait progresser la référence temporelle. Il est cependant important de voir que cette différence est un fait d’interprétation.

A cause même de cette dynamique temporelle, qui le rapproche d’un temps comme le Passé simple, l’Imparfait narratif s’est vu attribuer, de manière parfois trop rapide et assez peu réfléchie, une multitude de qualificatifs : « aoristique », « perfectif », « perspectif », « dynamique », « historique », « pittoresque », etc. Le rapprochement souvent fait avec le Passé simple ou le Passé composé processif s’explique par le fait que la désignation d’une séquence de procès singuliers – comme dans l’exemple ci-dessus – devrait en principe impliquer que chacun de ces procès est représenté comme s’étant déroulé intégralement. Ce raisonnement présente cependant le défaut de laisser entendre que ces Imparfaits produisent la même signification que des Passés composés ou des Passés simples. Or une telle analyse, d’une part s’avère intuitivement peu satisfaisante (contrairement à ce qu’on affirme parfois, une substitution est loin de produire la même signification), d’autre part pose de lourds problèmes de cohérence théorique (une propriété d’un temps verbal donnée comme essentielle devient magiquement son contraire, etc.).

L’erreur, pensons-nous, consiste ici, encore une fois, dans l’analyse qui est faite de la portée du grammème de temps verbal. Nous avons vu, à propos de l’imperfectivité dans les énoncés exprimant l’habitude, que les propriétés des grammèmes de Présent et d’Imparfait ne portent pas toujours sur le procès dénoté par le lexème verbal. Dans certains cas, ils portent sur une série de procès, cette série étant alors traitée comme un macro-procès. Le même type d’analyse peut être fait, s’agissant de l’Imparfait narratif. L’idée est la suivante : dans une séquence d’Imparfaits narratifs comme celle de (14), le temps verbal ne porte pas individuellement sur chaque procès désigné, mais sur toute la séquence des procès (un macro-procès). C’est cette séquence qui est représentée comme passée et avec une visée imperfective (Gosselin 1996, 1999a), donc incomplètement. Cette analyse paraît confortée par les observations suivantes [Note 50] :

– On rencontre souvent ce type d’Imparfait après des locutions conjonctives comme tandis que, qui peuvent introduire plusieurs verbes et donc plusieurs procès :

(15)  Le visage de ce jeune sous-officier changeait de seconde en seconde, tandis qu’il passait le guichet, remettait sa permission dans sa poche et descendait les marches extérieures. (Drieu la Rochelle, Gilles, 1942. In Gosselin 1999a : 33)

– On observe dans ces séquences une certaine prédilection pour l’ellipse du sujet grammatical (comme le montre déjà l’exemple précédent), phénomène qu’on peut regarder comme un indice qu’une séquence (une sous-unité narrative) est constituée :

(16)  À dix heures et demie du soir, le baron Léopold sautait tranquillement du dernier des wagons, franchissait la voie ferrée, sortait de la gare de marchandises et gagnait la grand-route. (Le train perdu. In Gosselin 1999a : 34)

– Le macro-procès est parfois lui-même désigné, en début de séquence, par un verbe à l’Imparfait, cette désignation fonctionnant comme une annonce. Les Imparfaits qui suivent, qui sont narratifs, constituent une « élaboration » de cette annonce [Note 51]. Mais l’Imparfait du verbe annonceur initial est un Imparfait ordinaire, désignant un procès singulier. Dans l’extrait (14) de compte rendu sportif, c’est un Passé simple qui produit cette annonce (ce fut fait), les trois Imparfaits qui suivent (sautait, sprintait, plaçait) étant une élaboration de cette annonce.

Une autre explication, qui n’est d’ailleurs pas incompatible avec la précédente, est celle avancée par Saussure & Sthioul (1999) (cf. aussi Saussure 2003, 2017). Selon ces auteurs, le mécanisme interprétatif qu’induisent les Imparfaits narratifs consiste à attribuer la représentation produite par l’Imparfait à un « sujet de conscience » allocentrique (i.e. autre que le locuteur), sujet qui aurait un statut de témoin. Cette explication se fonde sur la distinction, faite par Sperber & Wilson (1986), entre les usages « descriptifs » et les usages « interprétatifs » du langage. L’Imparfait narratif serait, dans cette explication, utilisé de façon interprétative.

Cependant, on trouve également une variante narrative de l’Imparfait dans des énoncés où il s’agit de toute évidence de désigner un procès unique. Ces Imparfaits sont appelés, depuis Brunot & Bruneau (1949), « de rupture » (parfois aussi « de clôture »), et plusieurs publications leur ont été consacrées (e.g. Tasmowski 1985, Berthonneau & Kleiber 1999, ainsi que Desclés 2003 sous l’appellation d’Imparfait « de nouvel état »). Il s’agit d’une forme généralement unique qui, précisément, clôt une séquence narrative plus ou moins longue au Passé simple ou au Passé composé. Elle est presque toujours introduite par un circonstanciel anaphorique précisant la durée de l’intervalle temporel qui s’est écoulé depuis le procès précédent (comme : le lendemain, trois semaines plus tard, etc.). Exemples :

(17)  La démarche lui fut pénible. Il se trouva en face d’un individu louche et obtus à qui il raconta [...] une vague histoire d’héritage et de dédommagement. Trois semaines plus tard, à sa surprise, l’individu louche et obtus [...] lui annonçait que la trace de Charles Estienne avait été retrouvée. (J. d’Ormesson, 1993)

(18)  – Vous maintenez votre décision ? me demanda-t-il.       
– Cela ne fait même pas question.           
Le lendemain, il nous donnait sa démission. (G. Valois, 1928)

On peut inclure dans le type « de rupture » un cas comme le suivant, où l’élément introducteur est une proposition en à peine... que :

(19)  Mais à peine le train avait-il franchi la rivière, que le pont, définitivement ruiné, s’abîmait avec fracas dans le rapide de Medicine-Bow. (J. Verne, 1873)

Toutefois certains Imparfaits à effet « de rupture » sont, au plan aspectuel, tout à fait ordinaires, désignant un procès singulier de façon imperfective :

(20)  Elle courut au port. Point de veilleurs ; elle sauta dans une barque. Se servir de rames eût été risqué, car elle n’avait aucun moyen d’en étouffer le bruit. Mais elle parvint à hisser une voile, à se dégager du quai à l’aide d’une gaffe, et bientôt elle filait vers la sortie du port, sous une brise légère mais propice. (T. de Quincey, 1847, trad. franç. 1980)

En fait, la notion d’Imparfait de rupture, telle qu’elle est habituellement discutée dans la littérature, s’avère plutôt confuse, mêlant propriétés aspectuelles et procédés narratifs. Elle confond deux phénomènes :

– le fait que l’Imparfait y soit associé à une progression de la référence temporelle,        
– le fait qu’il représente le procès de façon apparemment globale.

Le premier phénomène est en réalité trivial, car dans la variante « de rupture », ce n’est pas l’Imparfait qui fait progresser la référence temporelle mais bien l’adverbial qui le précède. Après un tel adverbial, les Imparfaits comme celui de (20) sont quasiment systématiques si le verbe n’est pas transitionnel et implique une certaine durée. La seule et éventuelle spécificité de cet emploi est son caractère isolé.

Le second phénomène relève de la question générale des emplois narratifs de ce temps verbal. Selon Gosselin (1999a, 2005), les Imparfaits « de rupture » s’expliquent de la même manière que les Imparfaits narratifs, mais ils supposent une sorte d’ellipse : le procès désigné est présenté comme le dernier ou le plus significatif d’une séquence de procès non formulés. Le complément temporel qui les précède très souvent suggère d’ailleurs lui-même une ellipse temporelle, donc d’autres procès non formulés [Note 52] . On retrouve ainsi l’idée d’incomplétude.

L’Imparfait narratif se rencontre également dans des titres de presse ou, plus rarement, dans des messages brefs, pour désigner un unique procès :

(21)  Il y a 70 ans mourait Maurice Tornay, martyr de la foi au Tibet (Titre, presse internet, https://www.cath.ch, 2019)

(22)  Théodore Tourniquet s’éteignait à l’âge de 45 ans, le 3 mai 1931. Il fut le dernier guetteur du Beffroi. (Texte intégral d’une pancarte, mairie de Boulogne, 2007)

Ces Imparfaits ici encore consistent à évoquer un procès (en l’occurrence un décès) tout en le représentant comme inclus dans une séquence de procès, vraisemblablement constituée ici par les principaux événements ayant marqué la vie des personnes désignées. C’est très exactement cette incomplétude que marque l’imperfectivité. Un titre comme (21) annonce d’ailleurs généralement un article explicitant la séquence des procès suggérée par celui formulé à l’Imparfait.

Il est inévitable que la distinction entre Imparfait narratif et Imparfait ordinaire soit parfois une question d’interprétation :

(23)  Il [Maigret] frappa, pensant que le prêtre était peut-être ailleurs. Mais aussitôt une voix s’éleva, très nette, très ferme, dans le silence absolu de la pièce :
Entrez !            
Maigret poussait la porte, s’arrêtait par hasard sur une bouche de chaleur. Debout, légèrement appuyé à la table gothique, le comte de Saint-Fiacre le regardait. (G. Simenon, 1932, extrait formé de 3 paragraphes entiers)

Dans cet exemple, les deux premiers Imparfaits du dernier paragraphe sont indiscutablement narratifs. Mais qu’en est-il du dernier (regardait) ? On peut l’interpréter soit comme faisant partie de la séquence d’Imparfaits narratifs (auquel cas il doit être considéré lui aussi comme narratif), soit comme un Imparfait ordinaire interrompant momentanément le cours des événements. On pourrait même, à la rigueur, y voir la variante « de rupture », suggérant une ellipse, l’énoncé signifiant de fait ‘Un instant plus tard, debout, légèrement appuyé à la table gothique, le comte de Saint-Fiacre le regardait’. Ce type de raccourci est assez fréquent dans les romans de Simenon.

3.2.4. L’Imparfait médiatif

3.2.4.1. La médiativité

Les affinités de l’Imparfait avec les contextes où il s’agit de rapporter les paroles, pensées ou perceptions d’une instance autre que l’énonciateur sont connues depuis longtemps. Bally (1912) qualifiait de « subjectifs » les emplois de l’Imparfait dans ce type de contexte. Exemple :

(24)  – Tiens ! monsieur Roubaud, vous êtes donc à Paris ?... Ah ! oui, pour votre affaire avec le sous-préfet !
De nouveau accoudé, le sous-chef de gare [= Roubaud] expliqua qu’il avait dû quitter Le Havre, le matin même, par l’express de six heures quarante. Un ordre du chef de l’exploitation l’appelait à Paris, on venait de le sermonner d’importance. Heureux encore de n’y avoir pas laissé sa place.
– Et madame ? » demanda Henri.
Madame avait voulu venir, elle aussi, pour des emplettes. Son mari l’attendait là, dans cette chambre dont la mère Victoire leur remettait la clef, à chacun de leurs voyages, et où ils aimaient déjeuner, tranquilles et seuls, pendant que la brave femme était retenue en bas, à son poste de la salubrité. Ce jour-là, ils avaient mangé un petit pain à Mantes, voulant se débarrasser de leurs courses d’abord. Mais trois heures étaient sonnées, il mourait de faim. (E. Zola, 1890)

Toutes les formes en gras dans cet extrait concernent des procès que le lecteur est invité à interpréter comme ayant été formulés non par l’énonciateur qui pilote la narration, mais par l’un des protagonistes de la conversation représentée ici : le sous-chef de gare Roubaud. On qualifiera de « médiatif » le contexte où figurent ces Imparfaits (et Plus-que-parfaits). Le phénomène de la médiativité implique nécessairement un médiateur, c’est-à-dire une instance interprétable comme la source des informations rapportées [Note 53]. Cette fonction est incarnée ici par le personnage de Roubaud.

Le phénomène de la médiativité tel qu’il se présente dans le cas du discours indirect libre est aujourd’hui bien connu [Note 54] . Mais ce même phénomène peut se manifester de façon plus discrète et impliquer tous les paramètres de l’énonciation. Par ailleurs, nous verrons que toute source d’information ou de connaissance peut être instaurée en médiateur : non seulement un « personnage », comme c’est typiquement le cas dans la fiction narrative, mais également l’opinion commune (doxa), de telle sorte que le médiateur peut n’être qu’une instance vague et anonyme, voire un pur construit langagier [Note 55]. De façon générale, on peut associer la notion de médiateur à celle de « point de vue ».

Les manifestations de la médiativité sont extrêmement diverses et susceptibles de concerner beaucoup de temps verbaux. Nous ne les évoquerons ici que pour certains d’entre eux : les temps comportant un grammème d’Imparfait (Imparfait, Plus-que-parfait, Passé prospectif), le Passé simple, les Conditionnels et le Futur antérieur.

On distinguera deux variantes d’Imparfaits médiatifs : ceux qui, comme dans (24), sont associés à des propos, pensées ou perceptions rapportées ; et ceux que nous avons appelé « de narration seconde ».

3.2.4.2. Imparfait associé au rapport de paroles, de pensées ou de perceptions

L’un des rendements contextuels de l’Imparfait est sa disposition à représenter le contenu du propos, des pensées ou des perceptions d’un médiateur, en général un individu humain, comme dans (24) ci-dessus. Le même procédé est à l’œuvre dans l’extrait suivant, à ceci près qu’il y est question de contenus de pensées. Comme dans l’exemple précédent, le contenu du rapport est annoncé (Davis réfléchit) :

(25)  Il saisit le téléphone qui reliait le gaillard à la passerelle.
– Allo ! Commandant... Commandant. Ce n’est rien, une déchirure à un mètre au-dessous de la flottaison, approximativement. 
– Bien, répondit Davis. Venez ici prendre mes ordres.     
Davis réfléchit. Il était inutile d’envoyer le signal de détresse qui aurait jeté la perturbation dans l’Atlantique. Cette avarie ne pouvait mettre en danger un navire de l’importance de l’Étoile-des-Mers défendu par de nombreuses portes étanches ; [...] une seule chose était compromise, perdue pour cette fois : le record de la traversée. (E. Peisson, 1932)

Un autre cas de figure encore où se manifeste la médiativité, plus discret que les précédents et pouvant pour cette raison passer inaperçu, est celui où l’Imparfait concerne des procès décrivant les perceptions d’un médiateur. Exemple :

(26)  Il lut tout le chapitre IV de saint Matthieu, puis le chapitre V jusqu’au verset 24. À cet endroit, il interrompit sa lecture et regarda par la fenêtre. Une pluie fine faisait luire les grandes feuilles jaunes et rouges qui jonchaient la petite rue et les premières odeurs de l’automne flottaient jusque dans la chambre. Dans la maison d’en face, un garçon étudiait près d’une fenêtre, comme Joseph, mais il ne levait pas la tête de ses papiers. (J. Green, 1950)

C’est bien toujours le même procédé qu’on observe dans cet extrait. La séquence d’Imparfaits peut être interprétée comme rendant compte de ce que voit le personnage qui regarde par la fenêtre. Comme dans les exemples précédents, cette séquence est introduite par une expression qui induit cette interprétation médiative (regarda par la fenêtre).

3.2.4.3. Imparfait de narration seconde (méta-narratif)

Il existe un emploi qui est proche de l’Imparfait narratif et souvent confondu avec lui, car en général associé au genre narratif également : il s’agit de l’Imparfait que nous appellerons « de narration seconde », ou « méta-naratif ». On le trouve par exemple dans certains résumés de romans ou de films, dans des comptes rendus de dépositions (rapports de police), etc. Il a été mis en évidence en italien par Baranzini & Ricci (2015) (voir aussi Baranzini 2019), mais l’Imparfait français paraît ici partager le même emploi que l’imperfetto italien. En voici un exemple tout à fait caractéristique :

(27)  [Article sur le roman de Virginie Despentes, Vernon Subutex 3, paru en 2017]
La description de la brutalité générale de l’époque (économique, sociale, politique) est cependant, depuis le départ, au cœur de Vernon Subutex. Résumé des épisodes précédents : dans le tome 1, l’ex-disquaire Vernon Subutex se retrouvait à la rue après la mort d’un ami qui payait son loyer. Tandis qu’il passait du canapé d’une connaissance à l’autre, on traversait Paris, toutes les couches de la société, tout le spectre sociologique et politique, et l’on découvrait des personnages perclus de solitude. Vernon finissait SDF. Dans l’épisode 2, d’une étrange douceur, les anciens hébergeurs de Vernon se mettaient à former un vague groupe autour de lui. Ils se réunissaient au parc des Buttes-Chaumont au côté de cet extraordinaire DJ qui les faisait danser.
Quand s’ouvre le tome 3, les mois ont passé [...]. (Le Monde, 26.05.2017)

Il ne s’agit pas seulement ici de reproduire le contenu événementiel d’une narration. En fait, la généralisation de l’Imparfait, dans ce résumé-compte rendu, produit une narration de narration, une méta-narration. La référence de toute la séquence est constituée non pas des événements et situations désignés, mais de leur désignation antérieure dans une narration « première ». L’utilisation de l’Imparfait produit par ailleurs, comme effet associé, que cette narration première est en fait la réception antérieure (ou une réception antérieure) du texte-source que constituent les épisodes 1 et 2 du roman dont il est question. C’est en quelque sorte la mémoire de la réception des épisodes en question qui est signifiée par ces Imparfaits.

C’est ce même emploi méta-textuel qu’on trouve dans certains rapports de justice, comme dans le long extrait ci-dessous, où la source n’est indiquée que de façon très générale comme « résultat d’une enquête » (cf. énoncé initial) :

(28)  Les faits tels qu’ils résultent de l’enquête et de l’information, seraient les suivants :           
Le 20 mai [...] vers 23 heures, Renaud sortait du cinéma [...] après avoir vu un film de science-fiction. Il était armé d’un révolver qu’il portait à la ceinture ;
Il décidait alors d’abattre un homme, qui, selon ses préférences, devait être de race blanche et âgé entre 20 et 50 ans. Déambulant dans les rues de Quimper à la recherche d’une victime, il renonçait d’abord, pour sa sécurité personnelle, à s’attaquer à un homme accompagné d’un chien de race berger-allemand puis à un autre individu sortant d’un bar et suivi de trop près par d’autres personnes. Aussi quelques instants plus tard, il s’intéressait à Monsieur [...] âgé de 49 ans, qui venait du quartier de la gare pour se diriger vers le centre ville. Il suivait alors cette personne sur plusieurs centaines de mètres en attendant de se trouver dans un endroit isolé plus propice à la commission de son crime. Arrivés au bas de la rue [...], tous deux croisaient successivement un jeune homme descendant cette même rue. Aussitôt après, (Renaud) dégaînait [sic] son révolver chargé de 6 cartouches, en armait le chien et le dissimulait sous le pan gauche de son blouson puis accélérait le pas pour rejoindre Monsieur [...]. Arrivé à un mètre derrière celui-ci, il braquait son arme des deux mains sur la nuque de Monsieur [...] lequel se retournait soudainement. (Renaud) tirait aussitôt une balle à bout touchant [sic] sur la joue droite de la victime qui s’effondrait. Ensuite, toujours en visant la tête, il tirait aussitôt une deuxième balle puis trois balles alors que Monsieur [...] gisait à terre. Il remarquait alors que le jeune homme qu’il venait de croiser tentait de se dissimuler derrière un immeuble au bas de la rue.
Après s’être assuré que personne n’intervenait, il continuait à monter la rue [...] à petite foulée puis tournait à gauche en marchant calmement. Quelques instants plus tard, en frappant le canon de son arme contre le mur, il vidait le barillet de celle-ci des 5 douilles percutées pour y mettre à la place 5 cartouches neuves. Il rentrait ensuite se coucher au domicile de ses parents ; 
Le corps de Monsieur [...] était découvert vers 23 heures 30 par des passants et des voisins alertés par le bruit des détonations. Son décès était immédiatement constaté par un médecin se trouvant sur place ; (M.-S. Dantec, D’un crime immotivé : l’énigme et le passage. 1999)

Que la source de la narration première soit identifiable, comme dans (27), ou désignée abstraitement comme résultat d’une enquête, comme dans (28), ces Imparfaits évoquent un autre discours qu’eux-mêmes, et à cet égard sont eux aussi médiatifs. Cela dit, certains d’entre eux, dans l’extrait ci-dessus, sont des Imparfaits descriptifs ordinaires (comme était et portait dans le premier paragraphe, et plus loin gisait). La généralisation de ce temps verbal masque la différence entre emploi médiatif et emploi non médiatif.

C’est ce même emploi méta-narratif qu’on rencontre parfois dans la narration des rêves. Le contenu du rêve est alors traîté comme une narration première, comme s’il s’agissait d’un film.

À l’examen de exemples (27)-(28), il apparaît que la différence entre l’Imparfait narratif, tel que décrit plus haut, et cette variante médiative tient à fort peu de chose. Au point que l’on peut légitimement se demander si les Imparfaits désignés habituellement comme narratifs ne sont pas des sortes de simulations ou d’usurpation d’une posture méta-narrative. Quoi qu’il en soit, l’imperfectivité pourrait être justifiée ici également par le caractère incomplet assumé par la méta-narration relativement à la narration source.

3.2.5. L’Imparfait modal

Trois emplois sont considérés ici comme modaux : les emplois à rendement atténuatif, ceux qui sont associés à la formulation d’une conjecture ou d’une conséquence, et ceux qui sont investis d’intention performative.

3.2.5.1. Imparfait à rendement atténuatif

Le qualificatif d’« atténuatif » renvoie à un ensemble de fonctions qui concernent les aspects sociolinguistes et interactionnels du langage ; plus précisément, au fait que les sujets parlants adoptent, dans certaines circonstances, diverses stratégies pour modérer le caractère potentiellement intrusif ou péremptoire de leurs énonciations. Ainsi, on peut considérer que le choix de l’Imparfait plutôt que du Présent, dans l’exemple suivant, est une manifestation de l’atténuation :

(29)  A: euh:: (.) j’voulais vous d’mander aut’chose [pour] euh: le règlement des
B:                  [oui]
A: cours y a-t-il possibilité d’régler en plusieurs fois ou faut faire qu’un seul chèque  (in Traverso 1999, 52)

L’Imparfait permet en effet ici d’atténuer le caractère intrusif que peut présenter le fait même de formuler une requête. Les grammairiens le décrivent habituellement comme une forme « de politesse ». Cependant ce rendement n’est pas exclusivement associé à la politesse au sens courant du terme, et c’est bien la fonction plus générale d’atténuation qui est concernée. Dans l’exemple ci-dessous, c’est l’assertion même d’une intention qui se voit atténuée par l’Imparfait [Note 56] :

(30)  – Je ne vois pas où est le problème. De toute façon, demain, j’avais l’intention de vous parler de Tyla. (J. Grippando, 2015)

Anscombre (2004) a noté que les verbes susceptibles d’être utilisés ainsi se limitent à une vingtaine et expriment presque toujours l’intention, la volonté, le souhait, le besoin. Mais d’autres verbes ne sont pas exclus, comme le montre l’exemple suivant :

(31)  – Je n’ai besoin de rien. Je venais pour apprendre des nouvelles. À l’hôpital, ils interdisent les visites. (A.-M. Garat, 1992)

Les principales particularités de ces Imparfaits sont les suivantes :

– Ils localisent leur procès (ci-dessus : vouloir, avoir l’intention de, venir) dans le passé, alors que les circonstances de l’énonciation indiquent que ce procès est on ne peut plus actuel. Il y a donc transfert de r0 dans le futur. C’est cette apparente contradiction qui conduit à leur attribuer une valeur atténuative. Mis à part cette particularité, ces Imparfaits sont des Imparfaits ordinaires dont la valeur est d’abord temporelle. Seul leur effet d’atténuation justifie qu’on les classe dans la catégorie des modaux.

– Ils supposent la préexistence d’une situation particulière dans laquelle est engagé l’énonciateur, et c’est à cette situation que réfère la forme verbale.

– Ils figurent le plus souvent dans un énoncé directif : requête formulée à la 1ère pers., question formulée à la 2e pers., cette question pouvant porter elle-même sur une requête à venir (cf. ci-dessous ex. (33)-(34)).

– Compte tenu du très petit nombre de verbes utilisés dans ces formulations, celles-ci présentent toutes les caractéristiques des rituels verbaux à forme plus ou moins figée.

Notons que, quand est désigné, dans ce type contexte, un procès antérieur à celui formulé à l’Imparfait, il peut l’être au moyen d’un Plus-que-parfait – ce qui confirme le caractère effectivement passé de ces Imparfaits :

(32)  alors je viens prendre le bulletin de santé je voulais savoir comment s’était passé le traitement du dentiste aujourd’hui (Message sur un répondeur, 1992, corpus Eva Roos)

Comme l’a montré Anscombre (2004), c’est la même logique d’atténuation qu’on observe dans des formulations à la 2e pers., comme la suivante :

(33)  – [...] M. Geiger est là, aujourd’hui ?      
– Je... j’ai peur que non... Voyons... Vous désiriez ? (B. Vian, 1948)

Et quand, plus rarement, l’Imparfait est à la 3e pers., c’est bien toujours l’énonciataire qui est désigné :

(34)  Qu’est-ce qu’il lui fallait ce matin, à la petite dame ? (in Wilmet 1997 : 389)

Une certaine tradition grammaticale a donné aux formulations comme (34), où l’énonciataire est désigné par un pronom de 3e pers., l’appellation d’Imparfait « forain » ou encore « commercial ». Cette surenchère terminologique s’avère toutefois peu utile, car il s’agit bien toujours du même mécanisme d’atténuation que dans les cas où l’énonciataire est désigné à la 2e pers. (renoncer à la 2e pers. est seulement une marque supplémentaire d’atténuation).

3.2.5.2. Imparfait conjecturaux et consécutifs (e.g. contrefactuels)

En raison de ses propriétés aspectuelles, l’Imparfait permet de désigner des procès de façon purement intensionnelle, c’est-à-dire indépendamment de toute actualisation et de toute validation. Il en résulte des emplois qui sont peut-être les plus typiquement « modaux », souvent résumés par le qualificatif d’« hypothétiques ».

L’Imparfait est alors susceptible d’exprimer une modalité se rapportant à l’un des deux termes d’un raisonnement consistant, d’une part à produire une conjecture – plus généralement, à concevoir une réalité distincte de l’univers actuel – (Imparfait conjectural), d’autre part, à en inférer une conséquence (Imparfait consécutif). Cette dernière peut elle-même être présentée comme une simple possibilité, ou comme une possibilité reconnue a posteriori comme non-advenue (contrefactualité) [Note 57].

Les deux exemples ci-dessous illustrent la variante conjecturale :

(35)  [Il est question d’une publication]          
T’attendais un jour de plus et je te l’amenais demain (je suis abonné).     
(Forum internet, 22.10.2012)

(36)  Je l’eusse été [jaloux] de Mademoiselle Goton comme un tygre, si elle m’en eut donné l’occasion. Rien n’étoit modéré de ce qui me venoit d’elle. Ses moindres délais me mettoient en furie, mais paraissoit-elle, à l’instant sa vue m’allumoit le sang d’une ardeur inconcevable, et tout étoit oublié. (J.-J. Rousseau, Confessions, Ms de Neuchâtel, p. 42)

Le premier exemple concerne le passé et la conjecture est contrefactuelle. Le second exemple concerne également le passé, mais la conjecture est produite dans le contexte de l’habitualité.

Les deux exemples ci-dessous illustrent la variante consécutive, associée à l’idée de possibilité dans (37) et à la contrefactualité dans (38).

(37)  Il y a moins d’1 an, mon compagnon a emménager avec moi chez moi. À cette époque sa fille vivait avec sa mère mais maintenant elle vis avec nous.  
J’ai dis a mon compagnon que dans ce cas, elle faisait soit des études soit prenait un emploi. Il m’a dis oui, mais cela fait 6 mois qu’elle est la à ne rien faire... (Forum Psychologie.com, 21.01.2015)

(38)  J’ai dormi deux heures dans la grange du métayer de la Pinçonnière, et il a fallu qu’il me tirât du foin, tant j’étais lourd de sommeil, ce matin. Sans lui, j’étais en retard. (R. Bazin, 1899)

3.2.5.3. Imparfait performatif ex post

On le rencontre en particulier en situation de jeu dans le langage des enfants, raison pour laquelle il a été qualifié de « préludique » [Note 58]. Cette appellation est néanmoins discutable (cet emploi n’est pas limité au jeu, ni au langage des enfants), et on lui préférera ici celle de « performatif ex post », car c’est bien là sa propriété principale : il confère à l’énoncé une véritable intention performative a posteriori. En voici un exemple :

(39)  [Au jeu de l’école, Marine joue le rôle de l’élève et Christine celui de la maîtresse]            
Ma. – tu m’emmenais à la directrice      
Ch. – ah oui tu veux que je t’emmène à la directrice ?     
Ma. – oui         
Ch. – allez viens je vais t’emmener à la directrice  (In : Patard 2010, p. 198)

Dans les jeux d’enfants, ces énoncés figurent typiquement dans la phase initiale du jeu, ou alors dans des circonstances où les conditions mêmes du jeu font l’objet d’une négociation (Patard 2010).

On peut analyser ces Imparfaits comme une exploitation, dans un énoncé à intention performative, de la valeur imperfective du temps verbal, en particulier du caractère ouvert de la borne finale E2 (cf. supra Figure 7, § 3.2.1.). En disant tu m’emmenais à la directrice, Ma. invite Ch. à se situer dans un univers où il est avéré depuis un certain temps (c’est en cela que la performativité est ex post) que Ch. a décidé d’emmener Ma. à la directrice (et est éventuellement en train de l’emmener à la directrice), la conviant ainsi à jouer cette scène. Contrairement à ce qu’on a parfois écrit, la notion de « passé » est bel et bien présente dans ces Imparfaits. Notons que les énoncés de ce type sont souvent statifs, décrivant des rôles ou des situations (cf. j’étais l’élève tu étais la maîtresse, je voulais pas y aller toute seule, etc.).

Le Conditionnel a un emploi similaire, dans lequel il est donc un concurrent de l’Imparfait.

3.2.6. Références bibliographiques

Ouvrages sur l’Imparfait

Bres Jacques (2005). L’imparfait dit narratif. Paris : CNRS éditions.

Le Goffic Pierre, éd. (1986). Points de vue sur l’imparfait. Caen : Centre de Publications de l’Université de Caen.

Patard Adeline (2007). L’un et le multiple. L’imparfait de l’indicatif en français : valeur en langue et usages en discours. Montpellier : Université Paul-Valéry – Montpellier III. Thèse de doctorat. En ligne : https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00257801

Patard Adeline (2018). L’imparfait de l’indicatif en français. In : Encyclopédie Grammaticale du Français. En ligne : http ://encyclogram.fr

Świątkowska Marcela (1987). L’imparfait en français moderne. Contribution à l’étude du temps et de l’aspect. Kraków : Uniwersytet Jagiellonski. Rozprawy habilitacyjne nr 130.

Vetters Carl (1992). L’opposition passé simple-imparfait : une question d’aspect ou de structuration textuelle. Anvers : Universiteit Antwerpen. Thèse de doctorat.

Yvon Henri (1926). L’Imparfait de l’indicatif en français. Paris : Les Belles Lettres.

Numéros de revues consacrés à l’Imparfait

Cahiers de praxématique 32, 1999 : L’imparfait dit narratif (J. Bres, éd.)

Cahiers Chronos 14, 2005 : Nouveaux développements de l’imparfait (E. Labeau & P. Larrivée, éds)


3.3. Le Futur

3.3.1. Préalables et valeur de base

Le Futur, appelé parfois « Futur simple » pour le distinguer de la forme composée (Futur antérieur) ou du Futur périphrastique, peut être caractérisé comme suit. Du point de vue temporel, c’est un temps verbal dont la valeur de base consiste à localiser la référence temporelle postérieurement au moment de l’énonciation. Du point de vue aspectuel, le Futur réfère à la phase processive du procès, sans toutefois spécifier si cette phase est représentée dans son intégralité (aspect perfectif) ou de façon sécante (aspect imperfectif). La distinction de ces deux visées aspectuelles, quand elle est faite, ne relève donc pas de la grammaire mais de l’interprétation, et est tributaire de divers facteurs contextuels.

On retrouve ici une propriété déjà rencontrée à propos du Présent narratif. Cela signifie que la distinction entre visée imperfective et visée perfective, qu’il est possible de marquer au passé en contrastant Imparfait et Passé simple, ou Imparfait et Passé composé – distinction si importante pour le genre narratif –, est neutralisée dans le cas du Futur. Pour le faire voir, examinons l’exemple ci-dessous :

(1)  Dans quelques minutes il pleuvra. Nous nous réfugierons sous la véranda. Nous commencerons à travailler. Le temps de brancher votre magnétophone, de faire des essais de voix, le temps de défaire le nœud de votre cravate, d’ouvrir le col de votre chemise, les nuages s’effaceront et vous n’aurez plus à vous inquiéter, pour l’enregistrement, du crépitement de la pluie sur le toit de la villa. (Y. Navarre, 1988)

Tous ces Futurs sont processifs. Mais la phase processive ne donne pas toujours lieu à la même interprétation :

il pleuvra : ce Futur est préférentiellement interprété comme imperfectif, compte tenu du type aspectuel du verbe (activité) et des trois procès qui suivent, décrivant ce qui se passera pendant l’averse et à cause de celle-ci. Mais une interprétation inchoative, donc perfective, est possible également : elle signifierait ‘il commencera à pleuvoir[Note 59].

nous nous réfugierons, nous commencerons, s’effaceront : ces Futurs sont interprétés comme perfectifs : ils forment une séquence de procès qui se succèdent, et ces verbes sont tous trois transitionnels.

vous n’aurez plus à vous inquiéter : ce Futur admet les deux interprétations. Il pourrait être analysé comme décrivant l’état de non-inquiétude consécutif à l’arrêt de l’averse (imperfectivité), ou comme l’entrée dans l’état de non-inquiétude (perfectivité par inchoativité), signifiant alors ‘vous commencerez à ne plus être inquiet’.

Ces différences apparaissent clairement si l’on transpose ce texte au passé, en remplaçant le localisateur déictique initial (dans quelques minutes) par son homologue anaphorique (quelques minutes plus tard). Avec le Passé composé comme temps conducteur de la narration, la transposition pourrait se présenter comme suit :

(1’)  Quelques minutes plus tard, il {pleuvait / s’est mis à pleuvoir}. Nous nous sommes réfugiés sous la véranda. Nous avons commencé à travailler. Le temps de brancher votre magnétophone [...], les nuages se sont effacés et vous n’{avez plus eu / aviez plus} à vous inquiéter [...] du crépitement de la pluie sur le toit de la villa.

En passant, on notera que dans cette transcription, l’Imparfait initial, tel qu’il est localisé avec le circonstanciel quelques minutes plus tard, serait décrit comme un Imparfait « de rupture ».

Au total, on peut caractériser le Futur par les propriétés suivantes :

– r0 est inclus dans S, soit : r0⊂S          
– S – R⊆E (c’est-à-dire R=E ou R⊂E).

Ces propriétés impliquent que seuls R et E2 sont, dans tous les cas, localisés dans le futur. En interprétation imperfective, la borne initiale E1 de E a une localisation indéterminée en terme d’époque ; la seule information que le temps verbal lui impose est qu’elle est antérieure à R1 (sans quoi il n’y aurait pas imperfectivité). En interprétation perfective, R et E sont tous deux localisés dans le futur.

Le Futur peut donc être représenté au moyen des deux chronogrammes ci-dessous :

schéma
schéma

Le chronogramme du Futur à visée imperfective est donc l’exact symétrique de celui de l’Imparfait (cf. Figure 7). Cette analyse implique qu’une formulation comme (2), où l’aspect lexical du verbe dormir impose au Futur une lecture imperfective, n’exclut pas que le sommeil dont il est question ait déjà commencé au moment de l’énonciation.

(2)  Quand tu arriveras, Pierre dormira.

On distinguera deux type principaux de Futurs, selon que le temps verbal est ou non associé à l’expression d’une signification modale.

3.3.2. Le Futur purement temporel

3.3.2.1. Futur désignant un procès singulier

Il s’agit du Futur désignant un procès singulier avec une référence temporelle localisée dans l’époque future. Comme nous venons de le voir, il est apte à produire une visée aspectuelle imperfective, comme dans (3), ou perfective, comme dans (4).

(3)  Mais en gros votre itinéraire, comme à l’habitude, vous mènera d’abord place de l’Esedra, dont vous vous demandez si la fontaine mil neuf cent fonctionnera déjà à cette heure, si seront aspergées ou sèches ses lascives femmes de bronze ridicules et exquises [...]. (M. Butor, 1957)

(4)  Quand tu reviendras dans ce cabinet de Croisset où ton ombre plane toujours, tu seras un homme consacré, connu, célèbre,... la tête m’en tourne.  
J’arriverai à Paris dans cinq semaines, vers le 20 octobre. Tu seras en pleines répétitions. Avec quelle frénésie je me précipiterai du boulevard à l’Odéon ! (G. Flaubert, Corresp., 1856)

Les formes en gras de (3) sont des verbes d’activités (non téliques) ; celles de (4) sont au contraire téliques. Celles de (3) pourraient être remplacées par une forme progressive (seront déjà en train de fonctionner, seront en train d’être aspergées), ce qui indique leur imperfectivité ; par ailleurs l’adverbe déjà, qui a ici la signification de « survenance précoce », impose une lecture imperfective. Au contraire, les formes en gras de (4) ne seraient pas correctement paraphrasées avec une forme progressive, et déjà, avec la même signification, serait ici peu vraisemblable.

L’imperfectivité du Futur se manifeste également dans le fait qu’il est par exemple possible d’exprimer, par des moyens explicites, que E1 est antérieur à R1. Ainsi, on pourrait modifier (3) de façon à faire apparaître cette dissociation :

(3’)  ... dont vous vous demandez si la fontaine mil neuf cent, à cette heure, fonctionnera depuis un moment déjà.

3.3.2.2. Futur habituel

En jouant sur les mots, on pourrait dire qu’il n’est pas habituel de considérer que le Futur a des emplois habituels [Note 60] . Et pourtant. Étant donné que ce temps verbal peut, dans certaines circonstances, produire une visée aspectuelle imperfective, il n’y a rien d’étonnant à ce qu’il puisse également être associé à l’habitualité – dès lors que l’on considère, avec Comrie (1976), que l’habitualité est l’une des manifestations de l’imperfectivité. Rappelons que l’habitualité consiste à représenter le procès comme se répétant durant un certain intervalle temporel au point de constituer un attribut caractéristique de cet intervalle. En voici deux illustrations :

(5)  Le soir, on fera des repas entre copains, avec des sardines grillées et des gâteaux maison. (D. Letessier, 1980)

(6)  Cette maison, habite-la. [...] Enfin, jusqu’au moment où nous ne nous supporterons plus. Le matin, je te ferai l’école, le soir on ira musarder. Ils diront : le Marano, une jolie fille au bras. Il a bien changé. (M. Rheims, 1987)

Comme avec l’Imparfait habituel, E et R sont ici formés de plusieurs instances du procès signifié par le verbe. L’intervalle R est entièrement localisé dans le futur, de même que la borne E2. Quant à la borne E1, elle doit seulement être antérieure à R1, et peut donc être antérieure à S. Autrement dit, rien de s’oppose à ce que l’habitude désignée soit déjà le cas au moment de l’énonciation. Le Futur habituel est donc l’exact symétrique de l’Imparfait habituel.

3.3.2.3. Futur gnomique

Comme le Présent, le Futur a des emplois gnomiques. Leur futurité est toujours fondée sur un repère, lui même conçu comme générique. Elle consiste donc en une ultériorité par rapport à ce repère. Comme dans le cas du Présent, il peut s’agir d’expressions figées (proverbe, maxime), dont l’utilisation relève donc du discours rapporté sur le mode direct (doxa rapportée) (ex. 7), ou d’une production langagière originale (ex. 8).

(7)  Qui a bu boira.

(8)  C’est ainsi qu’un taureau, toujours prêt à en attaquer un autre, n’attaquera jamais un veau, parce qu’il sait qu’il ne peut pas se défendre. De même ce buveur hargneux et dont la raison chancelle, en conservera encore assez pour ne pas se ruer sur un enfant ; c’est à un homme comme lui qu’il s’en prendra, souvent même à plus fort que lui ; (M. Boucher de Perthes, t.4, 1851)

Cet emploi du Futur a été très peu étudié. Voir cependant l’article que lui a consacré Ciszewska-Jankowska (2018).

3.3.2.4. Futur d’anticipation dans le passé

Qualifié aussi de « narratif » ou d’« historique », il s’agit du Futur qu’on rencontre par exemple dans certaines narrations, notamment celles à caractère historique, ainsi que dans les biographies, les résumés de films ou de romans. Si le genre narratif est effectivement son environnement privilégié, il n’est pas en lui-même à proprement parler narratif – raison pour laquelle nous préférons le qualifier par ce qui nous paraît être sa fonction principale : l’anticipation dans le passé. Exemples :

(9)  Après avoir été mobilisé en 1939, il retourne sur scène et côtoie Maurice Chevalier. En avril 1940, il crée aux côtés d’Édith Piaf , qui devient sa compagne jusqu’en 1942, Le Bel indifférent de Jean Cocteau au théâtre des Bouffes-Parisiens . Par la suite, il se mariera successivement avec trois actrices : Michèle Alfa de 1942 à 1946, Micheline Cheirel de 1951 à 1955, et Micheline Gary de 1965 à sa mort en 1979. (Biographie de l’acteur Michel Simon, Wikipedia, 2019)

(10)  On oubliait encore, en lisant ces phrases, que la république dont Wilson était l’élu était devenue une grande affaire, un grand consortium d’affaires. Wilson était mieux placé que personne pour connaître les faiblesses du contrôle parlementaire et de la paix démocratique. Se dupait-il lui-même ? On le saura plus tard. (J.-R. Bloch, 1931)

Ces Futurs présentent la particularité de désigner des procès localisés dans le passé – que ce passé soit désigné au moyen du Présent, comme dans (9), ou au moyen des temps du passé, comme dans (10). Dans les deux cas, le Futur traduit un mouvement d’anticipation par rapport à l’actualité de ce qui est narré. Par inférence, ce mouvement produit un effet d’ellipse temporelle, invitant à concevoir que d’autres procès encore ont précédé celui désigné au Futur.

Le Présent narratif de (9) résulte, comme indiqué plus haut (cf. § 2.5.2.3. et 3.1.4.1.), d’une transposition de r0 dans le passé (rappelons que r0 est par défaut localisé dans l’intervalle d’énonciation). Dans ce contexte, le Futur s’inscrit simplement dans la même logique temporelle : il marque la postériorité relativement à r0. Le réglage des temps verbaux, dans cet extrait, est donc homogène.

Il en va différemment dans l’exemple (10), qui n’est pas spécifiquement narratif mais explicitement localisé dans le passé. C’est néanmoins un Futur qui est également utilisé ici pour marquer le mouvement d’anticipation. Cela signifie que, contrairement à l’exemple précédent, le réglage des temps verbaux est ici hétérogène : dans la séquence comportant des temps du passé (Imparfait et Plus-que-parfait), le repère r0 est à sa position par défaut, à savoir dans S ; avec le Futur, il est soudain ancré sur le moment désigné par la dernière forme au passé. Il y a donc dans cet extrait un changement de repérage énonciatif.

Ces mouvements d’anticipation pourraient également être marqués par un Conditionnel. Quand le repérage énonciatif est homogène, c’est le Futur qui marque l’anticipation quand le passé est signifié par le Présent narratif ; et le Conditionnel, quand le passé est signifié par les temps du passé. Mais, dans le domaine de la temporalité, les faits d’hétérogénéité énonciative sont fréquents. Avec les Présents de l’exemple (9), un Conditionnel produirait le même effet d’anticipation (Par la suite, il se marierait successivement...).

Le plus souvent cet emploi du Futur est sporadique et intervient de façon isolée, comme dans les deux exemples ci-dessus. Mais il peut également être généralisé et s’étendre sur des séquences plus ou moins longues.

Quand il est sporadique, il met en évidence le procès et lui confère une certaine saillance, par exemple pour marquer la fin d’une phase de la narration, voire de la narration toute entière, produisant alors un effet de clôture ou de récapitulation. On observe que ces Futurs sont presque toujours dans le champ d’un localisateur temporel anaphorique (cf. dans les exemples ci-dessus : par la suite, plus tard), ce qui renforce l’effet d’ellipse.

Quand il est généralisé, il tend à devenir un temps narratif au sens plein du terme. C’est ce qu’on observe dans certains passages du long extrait de nécrologie ci-dessous :

(11)  Gaetano Benedetti a été enterré à Bâle le 13 décembre 2013. Son œuvre abondante (plus de 500 articles) a été publiée en France grâce à l’important travail de traduction de Danièle et Patrick Faugeras (6 livres chez Eres) avec, notamment, un passionnant livre de « Rencontre » en 2011. Le dernier ouvrage paru est un « séminaire sur l’hystérie » en 2013. Le psychiatre italien a consacré l’essentiel de ses travaux à la psychose et à la relation transférentielle aux psychotiques. Il a formé des générations entières de psychothérapeutes.  
Né à Catane, en Sicile, Gaetano Benedetti choisira d’exercer son métier hors de son pays. Il fait ses premiers pas à la clinique du Burghölzli à Zurich. Cet établissement reste attaché à des noms majeurs de l’histoire de la psychopathologie : Eugène Bleuler, Ludwig Binswanger ou Carl Jung pour n’en citer que les majeurs. Il se formera également aux États-Unis auprès du psychanalyste John Rosen, théoricien de « l’analyse directe » des schizophrènes. Il deviendra ensuite professeur de psychiatrie à l’université de Bâle. 
Benedetti a consacré l’essentiel de son œuvre au traitement des psychotiques. Au Burghölzli, il avait eu la chance de rencontrer de grands théoriciens, phénoménologues ou psychanalystes ; mais comprendre la psychose ne lui suffisait pas, il entendait soigner, voire guérir les personnes qui en souffraient. C’est en s’appuyant sur une double référence, psychanalytique et philosophique qu’il saura élaborer sa propre démarche clinique. Il y donnera une plénitude existentielle à la psychose alors qu’elle était souvent disqualifiée comme mode d’être déficitaire ou « insensé » et s’appuiera sur la richesse du lien qui se tisse entre le thérapeute et son patient.     
(Début d’une nécrologie parue dans Pratiques en santé mentale, 2014/2)

Ce texte commence par un paragraphe de présentation générale, donnant un certain nombre de faits particulièrement significatifs de la carrière de G. Benedetti. Ces faits sont désignés par des Passés composés et présentés dans un ordre qui obéit à une logique qui n’est ni chronologique ni narrative [Note 61]. Le paragraphe suivant introduit une perspective narrative, mais présentée d’emblée sur le mode de l’anticipation. Le verbe au Futur, en plus d’être anticipatif, présente ici un caractère de résumé ou d’annonce. Le troisième paragraphe, après un énoncé à fonction d’annonce purement factuelle au Passé composé, s’ancre clairement dans le passé, à une période postérieure à celle où G. Benedetti a rencontré de grand théoriciens. Mais immédiatement, la narration repasse au mode d’anticipation au Futur.

Dans cette fonction d’anticipation, le Futur est également concurrencé par le Présent prospectif (= Futur périphrastique). On trouve ces deux formes dans le résumé (12) :

(12)  [...] Dans cet immense scandale, le plus grand sans doute de la fin du xixème siècle, se mêlent erreur judiciaire, déni de justice et antisémitisme. L’affaire est racontée du point de vue du Colonel Picquart qui, une fois nommé à la tête du contre-espionnage, va découvrir que les preuves contre le Capitaine Alfred Dreyfus avaient été fabriquées.            
A partir de cet instant et au péril de sa carrière puis de sa vie, il n’aura de cesse d’identifier les vrais coupables et de réhabiliter Alfred Dreyfus. (Résumé du film de R. Polanski J’accuse, Journal du Caméo, 2019)

Le Futur d’anticipation dans le passé marque toujours, peu ou prou, une intervention de l’instance narratrice. Il n’est pas possible de dire ici, comme le faisait Benveniste (1966 : 241) à propos du Passé simple dans les narrations, que « les événements semblent se raconter eux-mêmes ». Le contenu du verbe au Futur indique parfois explicitement ce caractère d’intervention : cf. on le saura plus tard dans l’exemple (10).

3.3.3. Les Futurs partiellement modaux

C’est un fait reconnu depuis longtemps que l’expression du futur comme époque est souvent associée à certaines modalités. C’est que la référence à l’avenir va souvent de pair avec l’expression du souhait, de l’intention, de la crainte, de la prédiction, de l’injonctions, etc. Il existe d’ailleurs une longue tradition philosophique selon laquelle le futur serait intrinsèquement lié au probable ou à l’incertain. Comme nous le rappelle Gosselin (2005 : 89), Aristote lui-même considérait qu’une proposition exprimant un événement futur n’est ni vraie ni fausse, mais seulement possible, dès lors qu’il est établi que l’avenir est par définition inconnaissable [Note 62]. Cependant, s’agissant de la langue, cette position va à l’encontre de l’intuition. Les locuteurs du français produisent communément, en utilisant le Futur, des affirmations concernant l’avenir, et ces affirmations ne prétendent pas à moins de vérité que si elles concernaient le passé ou le présent.

Le problème devient beaucoup plus clair si l’on prend soin de distinguer deux ordres de « réalités » (cf. L. de Saussure 2012) : d’une part, la réalité extra-langagière, plus exactement la réalité considérée indépendamment de tout sujet de conscience ; d’autre part, la réalité telle que peut la concevoir et par conséquent l’exprimer un sujet de conscience. La position selon laquelle le futur est par définition lié à l’incertain concerne la première de ces deux réalités, et cette position peut difficilement être contestée – sauf à adopter un point de vue déterministe sur le monde. Mais il est non moins incontestable que la modalité avec laquelle un événement peut être signifié par voie verbale, qu’il soit passé, présent ou futur, dépend seulement du locuteur [Note 63].

Voici néanmoins quelques cas où le Futur est associé à une signification modale.

3.3.3.1. Futur à rendement promissif ou directif

Pour des raisons pragmatiques, le Futur, quand il n’est pas à la 3e personne, tend à conférer à l’énoncé une intention modale. En contexte conversationnel, les régularités observées sont les suivantes :

– à la 1ère personne, il tend à conférer à l’énoncé une signification promissive au sens de Searle (1982), c’est-à-dire une valeur d’engagement, de promesse ou de menace ;

– à la 2e personne, il tend à conférer à l’énoncé une signification directive, c’est-à-dire une valeur d’injonction ou de conseil.

Ces associations sont loin d’être systématiques. Néanmoins tout Futur conjugué à une personne autre que la 3e, en contexte d’interaction, est plus ou moins exposé à ce type de lecture. Voici quatre exemples alternant singulier et pluriel :

(13)  Je te dois quelque chose ? Parce que si je te dois quelque chose, dis-le, je te payerai. (J. Giono, 1929)

(14)  Mon avis est de payer, et de payer en or ; ça nous sera plus difficile qu’à vous, mais nous le ferons ; (P. Morand, 1931)

(15)  Va-t’en. À Veynes, tu demanderas au guichet un billet pour chez le cousin Blaise, c’est dans le Jura. Et si l’employé te demande d’où tu viens, tu lui diras de chez le cousin Blaise, de Provence. (B. Cendrars, 1948)

(16)  À sept heures du soir, Mme de La Monnerie achevait de convaincre sa nièce.        
– Comme il a plus d’argent que toi, ce mariage aura l’air plausible. Vous partirez pour la Suisse dans trois jours, le temps qu’il règle ses affaires. Vous vous y rendrez chacun de votre côté. Vous demanderez vos papiers de là-bas et vous vous marierez. En deux semaines, tout peut être réglé. (M. Druon, 1948)

Dans des contextes de nature juridique (textes de lois, règlements), la 3e personne peut également être investie d’une signification directive :

(17)  Une régate dite « Nationale » est une régate d’au moins trois jours. Il en existe un nombre limité. Elle devra comporter quatre courses pour être validée et le classement sera établi en enlevant la plus mauvaise manche. Les coureurs non-classés [...] ne seront pris en compte dans le classement des coureurs que si aucune préinscription n’était demandée pour la régate. (Règlement du classement national des coureurs AFL/FFV, 2007)

3.3.3.2. Futur de bilan

La notion de bilan est régulièrement évoquée pour décrire certains emplois modaux du Futur antérieur. Mais le Futur simple a des emplois analogues. En voici deux exemples. Dans le second, le Futur de bilan est utilisé avec le verbe rester impersonnel, régissant lui-même un Futur antérieur de bilan.

(18)  Il lui avait pris les mains, il les baisait, les mouillait de larmes.     
– Donne-moi les quinze francs, ce sera la dernière fois, je te le jure... [la dernière fois que je te demande quinze francs] (E. Zola, 1883)

(19)  Si d’autres raisons mystérieuses se sont jointes au prétexte invoqué, il restera que ce prétexte aura suffi à justifier la retraite. (C. Maurras, 1914)

On analyse en général ce Futur de la façon suivante : il indique que l’énonciateur diffère, en le localisant dans le futur, le moment où sera définitivement acquise la vérité de ce qui est asserté (par exemple, dans (18) : que « c’est la dernière fois »). L’un des premiers à avoir proposé cette analyse, mais concernant le Futur antérieur, est Adolf Tobler dans un article paru en 1884 (trad. franç. Tobler 1905). Cette explication est connue sous l’appellation de « vérification future ». De fait, il s’agit d’emplois dans lesquels le temps verbal porte non pas sur le procès mais sur sa validité.

3.3.3.3. Futur de conjecture

Un autre emploi modal des temps du futur est celui consistant à formuler une hypothèse destinée à expliquer un fait constaté ou rapporté. Cette valeur de conjecture peut être observée dans l’exemple suivant :

(20)  On connaissait tellement bien tout le monde, à Combray, bêtes et gens, que si ma tante avait vu par hasard passer un chien « qu’elle ne connaissait point », elle ne cessait d’y penser et de consacrer à ce fait incompréhensible ses talents d’induction et ses heures de liberté.          
« Ce sera le chien de Mme Sazerat », disait Françoise, sans grande conviction, mais dans un but d’apaisement et pour que ma tante ne se « fende pas la tête ». (M. Proust, 1913)

Qualifié aussi d’« épistémique » (e.g. Celle 2004) ou de « putatif » (Morency & de Saussure 2006), ce Futur marque que l’assertion où il figure est le produit d’une inférence. Il est rare et ne se rencontre pratiquement qu’avec les verbes être et avoir. En revanche la valeur de conjecture est beaucoup plus fréquente avec le Futur antérieur.

Les Futurs de bilan et de conjecture ont un fonctionnement voisin. Tous deux permettent de différer le moment où sera acquise la vérité de ce qui est asserté, étant entendu que le contenu de l’assertion concerne le passé. Tous deux portent donc sur la validité du procès. Mais, tandis que le premier se présente comme une sorte de rétrospection anticipée [Note 64] , dépourvue de toute intention explicative, le second est au contraire entièrement orienté vers une finalité explicative et formulé avec une modalité de conjecture. On peut donner de ces deux emplois une analyse en terme de médiativité (voir la notice sur les temps composés, § 4.5.7.4.).

3.3.3.4. Futur de possibilité matérielle

Dans le contexte illustré par l’exemple ci-dessous, où le Présent n’est pas très fréquent (à moins qu’un verbe modal comme pouvoir soit ajouté), le Futur paraît fonctionner comme un marqueur de modalité.

(21)  Le lecteur trouvera ci-après un glossaire des mots étrangers, ainsi que des arbres généalogiques et des cartes. On trouvera des photos de l’ancienne synagogue et de l’ancienne maison d’étude dans Wojciech Wilczyk, Niewinne oko nie istnieje [...]. (I. Jablonka, 2012)

La modalité dont il est question ici est la possibilité matérielle, de sorte que le Futur paraît condenser une sorte de petit raisonnement : ‘si le lecteur a besoin d’informations complémentaires, il pourra les trouver...[Note 65].

3.3.3.5. Futur à rendement atténuatif

Nous avons vu que l’Imparfait est régulièrement utilisé pour localiser fictivement dans le passé un procès lié à l’énonciation elle-même (donc qui est actuellement en cours), avec comme effet d’en atténuer l’expression. On observe la même logique avec certaines localisations dans le futur, et le même caractère auto-référentiel :

(22)  Je vous avouerai que cette idée d’une illégalité possible dans la conduite du procès m’était extrêmement pénible à cause du culte que vous savez que j’ai pour l’armée ; (M. Proust, 1922)

(23)  [...] je ne vous cacherai pas que, sur ce point, votre lettre m’a causé une surprise pénible. (P. Mendès-France, 1987)

(24)  J’ai posé un paquet sous la banquette, dit Berthier, je vous demanderai d’y faire attention. (M. Aymé, 1933)

Le fait même de différer l’assertion des procès en question, plus exactement de faire comme si elle était différée, est un moyen plus ou moins conventionnel d’atténuer cette assertion, d’en tempérer ce qu’elle pourrait avoir de péremptoire et ainsi d’en diminuer les éventuelles conséquences interactionnelles. Comme avec l’Imparfait, ces formulations sont limitées à un petit nombre de verbes et plus ou moins figées.

3.3.4. Références bibliographiques

Ouvrages sur le Futur ou l’expression du futur en général

Azzopardi Sophie (2011). Le Futur et le Conditionnel : valeur en langue et effets de sens en discours. Analyse contrastive espagnol / français. Montpellier : Université Paul-Valéry Montpellier III. Thèse de doctorat.

Baranzini Laura (éd.) (2017). Le futur dans les langues romanes. Berne : P. Lang.

Celle Agnès (1997). Étude contrastive du futur français et de ses réalisations en anglais. Gap et Paris : Ophrys.

Fleischman Suzanne (1982). The future in thought and language : Diachronic evidence from Romance. Cambridge : Cambridge University Press.

Niekerk P.K. (1972). L’expression du futur en français et en néerlandais : étude synchronique sur les syntagmes verbaux susceptibles d’exprimer la futurité. Groningen : Kleine.

Novakova Iva (2001). Sémantique du futur : étude comparée français–bulgare. Paris : L’Harmattan.

Schrott Angela (1997). Futurität im Französischen des Gegenwart. Semantik und Pragmatik des Tempora des Zukunft. Tübingen: G. Narr.

Sundell Lars-Göran (1991). Le temps futur en français moderne. Uppsala : Acta Universitatis Upsaliensis ; Stockholm : Almqvist & Wiksell.

Numéros de revues consacrés au Futur

Verbum 22/3, 2000 : Autour du futur (C. Benninger, V. Lagae & A. Carlier, éds)

Faits de langue 33, 2009 : Le futur (C. Chauvin, L. Danon-Boileau, C. Delmas, R. Mir-Samii, M.-A. Morel & I. Tamba, éds)

Revue de sémantique et de pragmatique 38, 2015 : Le futur (L. Abouda & S. Azzopardi, éds)

Canadian Journal of Linguistics / Revue canadienne de linguistique 61/3, 2016 : Future temporal reference in French / La référence temporelle au futur en français.

Linx 77, 2018 : Regards croisés sur le futur en français et dans différentes langues romanes (S. Azzopardi & E. Oppermann-Marsaux, éds)


3.4. Le Passé simple

Le Passé simple est un temps verbal assez difficile à décrire, notamment en raison de son statut actuel dans le système des temps verbaux. D’une part c’est un temps encore passablement utilisé, en particulier dans la langue écrite, surtout dans la fiction littéraire ; mais d’autre part, il ne fait pas de doute que pour une proportion importante de locuteurs, c’est un temps plus ou moins défectif, qui n’est utilisé qu’avec certains verbes et seulement à certaines personnes.

3.4.1. Propriétés aspectuo-temporelles

On caractérise habituellement le Passé simple comme suit : du point de vue temporel, c’est un temps du passé ; du point de vue aspectuel, c’est un temps perfectif : il donne du procès désigné une représentation globale, complète, dans laquelle R coïncide intégralement avec E (R=E). À cet égard, il s’oppose à l’Imparfait, temps imperfectif.

Cette description se heurte cependant à la difficulté suivante. L’accepter telle quelle revient à considérer qu’il y a synonymie entre le Passé simple et le Passé composé quand ce dernier est utilisé de façon perfective (Passé composé processif). Et, en effet, ces deux temps verbaux paraissent parfois utilisés comme s’ils étaient interchangeables. Voyons-le avec les exemples suivants :

(1)  [Il est question de quelques grands industriels français du xxe siècle]      
À leurs risques et périls, ces personnages ont contribué au progrès, dans toutes ses dimensions, du plus intime jusqu’à l’universel. Tour à tour ils ont voulu la puissance, le bien et la beauté. Leur industrie fut de vaincre et de convaincre, l’art de plaire pour longtemps. D’instinct ou de sang froid, ils ont pressenti les métamorphoses du siècle [...].      
Le troisième temps, c’est... le temps. À chaque aventure sa chronologie, ses aspirations, ses seconds souffles, des balbutiements jusqu’aux éclats les plus récents. Quand Chanel lança-t-elle la robe noire ? Quand les Rothschild ont-ils participé à l’essor du nickel ? De quand date la 402 ? Quand furent lancés le Normandie, le Laté 28 ? (E. Fottorino, 1996) [Note 66]

(2)  Quelques mois plus tard, je reçus l’autorisation d’en entretenir le Premier ministre, ministre de l’Économie et des finances, M. Raymond Barre, auquel j’ai ensuite rendu compte du déroulement des opérations et, finalement, de leur conclusion négative.   
J’ai obtenu de ces hautes personnalités, qui m’ont fait pleinement confiance, les autorisations dérogatoires au règlement qui devaient permettre de conserver le secret [...]. (E. Fottorino, 1996)

Dans (1), le premier paragraphe présente une suite de Passés composés au milieu de laquelle figure un unique Passé simple (fut). Le second paragraphe comporte quatre questions qui portent sur la même période historique et forment ainsi une sorte de paradigme. Trois d’entre elles sont formulées à un temps du passé (la quatrième utilisant le tour de quand date...). Or, deux des trois questions au passé sont formulées au Passé simple (lança, furent lancés) ; la troisième est au Passé composé (ont participé).

Dans (2), les formes verbales ont une fonction apparemment narrative, mais seule la première est au Passé simple. Ici aussi, la séquence paraît pourtant très homogène au plan textuel, les deux premières formes étant accompagnées d’une expression de localisation temporelle anaphorique (quelques mois plus tard, ensuite).

Ces alternances sont difficiles à expliquer, du moins si l’on s’en tient à des considérations strictement aspectuo-temporelles. Vis-à-vis de ce problème deux attitudes sont possibles : ou bien on considère que les deux temps verbaux sont synonymes, tout en leur reconnaissant une différence « stylistique » (le Passé simple ayant des connotations archaïques que n’a pas le Passé composé) ; ou bien on tente de leur trouver des caractéristiques distinctives au plan aspectuo-temporel.

La réponse apportée habituellement à cette question réside dans l’observation suivante. Ces deux temps verbaux diffèrent du point de vue de la relation qu’ils établissent avec l’univers de l’énonciation. Le Passé composé, quels que soient ses emplois, donne du procès une représentation qui conserve toujours un lien avec l’univers de l’énonciation [Note 67]. On peut dire qu’un procès désigné au Passé composé est représenté comme appartenant au même univers que celui où a lieu l’énonciation. À l’opposé, le Passé simple représente le procès qu’il désigne comme situé dans un univers disjoint de l’univers de l’énonciation. Cette distinction, passablement brouillée dans les deux exemples ci-dessus (pour des raisons qui apparaîtront plus loin), est en revanche tout à fait claire dans l’exemple suivant :

(3)  Nous arrivâmes à la salle à manger.      
Aussitôt que Grégoriska en eut ouvert la porte et eut, en moldave, prononcé un mot, que j’ai su depuis vouloir dire l’étrangère, une grande femme s’avança vers nous.   
C’était la princesse de Brancovan. (A. Dumas, 1849)

On a en effet dans cet extrait deux plans bien distincts : celui du contenu narré, formulé au Passé simple et au Passé antérieur (qui est une forme composée du Passé simple) ; et celui où l’énonciateur produit un commentaire à propos de cette narration, formulé au Passé composé (j’ai su). Or, ce commentaire implique le moment de l’énonciation. En reprenant la terminologie de Benveniste (1959), on peut dire que la séquence au Passé simple et Passé antérieur relève de l’énonciation historique, et la proposition relative au Passé composé, de l’énonciation de discours.

Cette conception, qui fait assez généralement consensus, a conduit certains linguistes à considérer que le Passé simple, au motif qu’il est en rupture avec l’univers de l’énonciation, n’est pas un temps du passé (e.g. Desclés 2017 : 168) [Note 68]. Quoi qu’il en soit, l’hypothèse d’une disjonction avec l’univers de l’énonciation est corroborée par un certain nombre d’observations. Ainsi, les formes au Passé simple marquent une forte réticence, dans le français actuel, à être dans le champ d’un localisateur temporel déictique (par définition dépendant de l’énonciation), tandis qu’elles s’accommodent parfaitement d’un localisateur anaphorique [Note 69]. De sorte que des formulations comme (4), pourtant courantes en français classique, sont ressenties aujourd’hui comme problématiques, contrairement à (5). Ces exemples sont repris de Desclés (2017 : 168).

(4)  Hier Paul arriva tout essoufflé.              
L’an dernier Jean escalada le Cervin.

(5)  Quelques minutes plus tard Paul arriva tout essoufflé.   
Cette année-là Jean escalada le Cervin.

À l’inverse, des formulations comme (6)-(7) sont tout à fait banales et courantes. Cela tient au fait que les expressions de localisation temporelle déictiques, par définition, sont dépendantes du moment de l’énonciation, contrairement aux expressions anaphoriques.

(6)  Hier Paul est arrivé tout essoufflé.         .
L’an dernier Jean a escaladé le Cervin. 

(7)  Quelques minutes plus tard Paul est arrivé tout essoufflé.            
Cette année-là Jean a escaladé le Cervin.

Une façon de tenir compte de cette analyse, du moins de représenter l’absence de lien avec l’univers de l’énonciation, dans le cadre des concepts descriptifs présentés plus haut, serait de considérer que l’intervalle d’énonciation S ne fait pas partie des paramètres caractérisant ce temps verbal. Ce qui revient à faire du repère r0, ordinairement et par défaut situé dans S, un repère seulement postérieur à la référence temporelle (ce qui maintient au Passé simple la propriété de temps du passé, sans toutefois en faire un temps déictique). Si l’on adopte cette solution, le Passé simple se caractérise par les propriétés suivantes :

– absence de S 
– R est antérieur à r0, soit R< r0
– R=E

Soit le chronogramme de la Figure 9 :

schéma

Cette caractérisation du Passé simple, et de ce qui le distingue du Passé composé, ne permet toutefois pas d’expliquer les alternances observées dans (1)-(2). Ainsi on voit mal, dans (1), en quoi les questions Quand Chanel lança-t-elle la robe noire ?, Quand furent lancés le Normandie, le Laté 28 ? seraient moins liées à l’univers de l’énonciation que la question Quand les Rothschild ont-ils participé à l’essor du nickel ? Il y a là manifestement d’autres facteurs qui interviennent.

3.4.2. Statut particulier du Passé simple

Il a été observé depuis longtemps que des facteurs sans rapport avec l’expression du temps et de l’aspect peuvent intervenir, favorablement ou défavorablement, dans le choix du Passé simple (e.g. Dauzat 1937, Zezula 1969, Herzog 1981, Engel 1989, Labeau 2009, 2015). Ces facteurs sont principalement de deux types : morphologiques et phraséologiques.

Facteurs morphologiques. – Les travaux de Wilmet (1970) et de Martin (1971) ont abondamment documenté le fait que le Passé simple, qui avait dans l’ancienne langue (ancien et moyen français) une grande diversité de fonctions, a vu son répertoire fonctionnel considérablement réduit, au point d’être devenu aujourd’hui un temps verbal pratiquement inexistant dans les interactions orales. Il en résulte que pour un nombre important et vraisemblablement croissant de locuteurs, peu familiers des types d’écrits où le Passé simple est fréquent, la maîtrise formelle de ce temps verbal présente de réelles difficultés. Si bien que l’on rencontre parfois des formes comme il metta, il retena, il sorta, etc. [Note 70] (cf. Dauzat 1937). Ces difficultés se concentrent surtout sur deux points, souvent cumulés : d’une part les 1ère et 2e personnes, tout particulièrement au pluriel ; d’autre part, et plus généralement, la flexion de certains verbes, notamment ceux qui appartiennent aux paradigmes flexionnels des verbes des 2e et 3e groupes, a fortiori si ces verbes sont peu fréquents. (Ce dernier point est important, car beaucoup de verbes de ces groupes flexionnels sont au contraire d’une fréquence élevée, de sorte que leur morphologie est davantage familière [Note 71] .) En fait, force est de reconnaître que pour beaucoup de locuteurs, le Passé simple est en réalité un temps verbal défectif, ce qui se traduit par une « insécurité morphologique » plus ou moins grande et diverses stratégies d’évitement. Et, comme toujours dans ce type de situation, l’écart peut être important entre la compétence active et la compétence passive. L’importance de ce premier facteur varie évidemment de façon considérable selon le niveau scolaire des locuteurs, leur plus ou moins grande familiarité avec les textes des siècles antérieurs, etc. Tandis que la grammaire de certains locuteurs est très poly-synchronique, la grammaire d’autres locuteurs est mono-synchronique [Note 72].

Facteurs phraséologiques. – Les facteurs morphologiques sont toutefois partiellement compensés par certains faits qu’on qualifiera de phraséologiques, qui jouent au contraire un rôle « protecteur » vis-à-vis du Passé simple. Ces faits concernent un très petit nombre de verbes qui sont tous par ailleurs extrêmement fréquent : être (y compris comme auxiliaire des formes passives), avoir, faire, vouloir, savoir, devoir, dire, falloir et quelques autres [Note 73] . On peut distinguer ici deux phénomènes :

– d’une part, certains de ces verbes, fléchis au Passé simple (presque toujours à la 3e personne du singulier) entrent dans des expressions plus ou moins figées. Tel est le cas d’expressions comme s’il en fut, fit-il, dit-il, dut-il, (il) fut un temps, etc. Notons en passant que s’il en fut est la seul forme passée pour s’il en est (*s’il en a été, *s’il en avait été). Il n’est donc pas surprenant que ces Passés simples se rencontrent dans des contextes où ce temps verbal serait normalement inoportun.

(8)  Départ vers deux heures. Route agréable. Luce et moi très à l’aise à l’arrière bavardons agréablement. Étape à Châtellerault : dîner, puis cinéma, la Dame de Malacca... Étrange ville déserte dans la nuit. Un orgue dont le chant arrive par la porte ouverte d’une cure. Tout cela très Chaminadour. Hôtel triste s’il en fut, bruyant. Mauvaise nuit. (C. Mauriac, 1998)

(9)  Toujours sans logique apparente, le juge m’a alors demandé si j’avais tiré les cinq coups de revolver à la suite. J’ai réfléchi et précisé que j’avais tiré une seule fois d’abord et, après quelques secondes, les quatre autres coups. « Pourquoi avez-vous attendu entre le premier et le second coup ? » dit-il alors. Une fois de plus, j’ai revu la plage rouge et j’ai senti sur mon front la brûlure du soleil. (A. Camus, 1942) [Note 74]

(10)  Qu’ai-je à perdre, bon sang ? On n’a jamais rien à perdre. Il fut un temps où je le savais, et je gagnais tout. Ah, voir plus grand, voir vaste, jouer plus gros, tout risquer ! (J.-R. Huguenin, 1993)

– D’autre part, ces mêmes verbes ont une propension plus ou moins marquée à être utilisés au Passé simple chaque fois qu’il s’agit d’exprimer un passé perfectif, même quand le contexte aspectuo-temporel se prête peu à ce temps verbal :

(11)  Ariès cite abondamment un écrivain américain du nom de Geoffrey Gorer, auteur en 1955 d’une étude intitulée « The Pornography of Death », dont il faut mesurer ce que dut être sa valeur de provocation inouïe dans le contexte religieux et puritain de la société où elle fut d’abord publiée. À en croire le résumé que fournit de cette thèse l’historien français, on veut bien croire qu’avec elle « tout est déjà dit ». (Ph. Forest, 2007)

(12)  Enfin, comme il l’avait suppliée de l’accompagner, elle lui avait répondu qu’elle ne voulait pas se conduire de façon grossière avec des gens qui avaient été si gentils. « Ils te garderont pour m’obliger à revenir », avait observé Bridet. « Tu ne sais pas ce que tu dis », fut la réponse de Yolande. Et ils avaient décidé que « l’indispensable » visite rendue, elle prendrait le train de dix-sept heures [...]. (E. Bove, 1945)

(13)  Lors de l’invasion des Allemands en 1939, la femme et deux des enfants de Benyamin sont partis vers l’Est, vers Bialystok. Il devait les rejoindre plus tard. Il existe ensuite deux versions dans le souvenir familial. Selon la première, il n’en eut pas le temps. Selon la seconde, il les a rejoints, mais, après une dispute, il est rentré en Pologne chez son fils Motel, qui habitait à Milosna avec sa famille. Il a peut-être été interné au ghetto de Milosna. Il est mort en 1941, d’une pneumonie, dans un lit, dans la maison de Motel. (F. Milewski, 2009)

Il est intéressant de noter que dans les deux premiers exemples, la forme fut est utilisée dans des contextes temporels très différents : dans (11), fut serait remplacé par un Passé composé, mais dans (12) par un Plus-que-parfait. En effet, le Passé simple de l’exemple (12) se trouve dans un contexte de Plus-que-parfaits exprimant l’antériorité dans le passé, toute la séquence étant une analepse (flash-back). La forme fut revient donc ici à « omettre grammaticalement » cette information d’antériorité. (Sur l’intrusion du Passé simple dans les analepses, voir infra la section consacrée au Plus-que-parfait.)

Dans certains cas, l’une des motivations pouvant conduire à préférer le Passé simple pourrait être l’évitement de la répétition de l’auxiliaire du Passé composé.

Quand il y a figement (premier cas ci-dessus), le Passé simple fait figure de fossile morphologique. La forme fut est particulièrement intéressante à cet égard, car elle entre dans des expressions plus ou moins figées. Par exemple, elle est abondamment utilisée dans des constructions identificatives ayant la forme de (14) ; ou dans des constructions présentatives, comme (15), ou clivées, comme (16) [Note 75].

(14)  La raison (en) fut que...              
Sa conclusion fut que...              
Ma première pensée fut que...

(15)  Ce fut plus tard que...   
Ce fut la première fois que...     
Ce ne fut que le lendemain que...

(16)  Ce fut Marcel qui...      
Ce fut à Rome que...     
Ce fut avec tristesse que...

À quoi s’ajoute que le verbe être au Passé simple sert également de variante d’aller, et s’en être de s’en aller :

(17)  Hier, je fus avec Champmartin étudier les chevaux morts. (E. Delacroix, Journal, mai 1823)

(18)  Les garçons s’en furent dans la grange avec les vieux habits du meunier. (H. Pourrat, 1922)

Certes, ces variantes sont indiscutablement aujourd’hui quelque peu obsolètes. Cependant, aux temps composés, être reste très fréquent comme variante d’aller : il a été tout raconter, j’avais été le trouver, etc. S’en être est en revanche inexistant pour ces temps verbaux.

On le voit, le Passé simple se trouve dans une situation à la fois complexe et confuse dans l’état actuel du français. Sa présence dans la grammaire des sujet parlants est très variable, souvent précaire ou fragmentaire, et sa distribution dans la communauté des sujets parlants très inégale [Note 76]. Pour ces raisons, sa description ne peut pas faire l’économie de considérations diachroniques et sociolinguistiques.

3.4.3. Emplois

En dépit de ces problèmes, il est possible de dégager quelques emplois caractéristiques. On distinguera ici les suivants.

3.4.3.1. Passé simple narratif

Le passé simple est, aujourd’hui encore, beaucoup employé dans la narration écrite comme temps conducteur de la narration et faisant progresser la référence temporelle (en particulier dans la fiction). On le rencontre alors sous la forme d’enchaînements de Passés simples. Dans ces séquences, le principe est que chaque forme verbale désigne un procès qui suit chronologiquement le procès désigné par la forme précédente. Quand le Passé simple est utilisé ainsi, il y a parallélisme entre la chronologie du texte proprement dit et celle des procès qu’il décrit. Pour désigner ce phénomène, on utilise parfois la notion d’iconicité : la progression du texte évoque iconiquement la progression des procès. Ce parallélisme crée l’impression que le texte est asservi à la chronologie des événements et se donne comme l’expression même de leur réalité. Pour décrire cet effet, Benveniste (1966 : 241) écrivait que les événements « semblent se raconter eux-mêmes ».

(19)  Elles s’éloignèrent de la ville, poussant le landau salvateur. Pique-niquèrent dans un bosquet. Au soir tombant trouvèrent un hangar de scierie, et y dormirent, sur un tas de sciure. Comme des chats, dit Régina, on se rapproche des bêtes. C’est chouette dit Grâce, on va pouvoir se parler autant qu’on voudra le soir avant de s’endormir, et là-dessus tombèrent dans un sommeil sans fond, toutes les deux, ensemble. (C. Rochefort, 1975)

Cet extrait est intéressant car passablement hybride du point de vue de ses marques formelles. D’un côté, l’usage qui y est fait du Passé simple est on ne peut plus traditionnel ; mais de l’autre, certaines caractéristiques le rattachent très clairement à une écriture contemporaine, en particulier la ponctuation (usage du point, absence de certaines virgules), l’absence de clitique sujet et la façon d’intégrer le discours rapporté dans la voix narrative (les transitions de l’un à l’autre sont minimalement signalées).

Certains linguistes ont soutenu que la progression temporelle est une propriété du Passé simple (e.g. Kamp & Rohrer 1983, Johanson 2000). Un qualificatif a même été forgé pour désigner cette propriété : celui de temps « propulsif » (Johanson 2000). Cependant, les exemples où ce temps verbal est utilisé sans aucune progression temporelle sont très nombreux (voir section suivante), si bien que cette thèse doit être rejetée, du moins si elle prétend décrire une propriété intrinsèque du temps verbal. S’il est vrai que la perfectivité favorise en elle-même la propulsivité, elle en est une condition nécessaire mais non suffisante.

Dans les textes qui ne sont pas exclusivement narratifs, les séquences proprement narratives sont souvent introduites par une expression de localisation temporelle :

(20)  Je suis possédé à présent de la fine tournure de la camériste de Mme ***. Depuis qu’elle est installée dans la maison, je la saluais amicalement. Avant-hier soir, je la rencontrai sur le boulevard ; [...] elle donnait le bras à une femme en service aussi chez sa maîtresse. Il me prit une forte tentation de les prendre sous le bras. (E. Delacroix, Journal, mai 1823)

(21)  Au nom de l’Académie française, j’apporte à Henry Roujon l’hommage suprême de nos regrets. Il ne sera pas resté un long temps parmi nous. Lorsque, il y a trois ans, il témoigna le désir d’être des nôtres, en remplacement de M. Henry Barboux, il était déjà très malade : il fut élu, pour ainsi dire, mourant. Ceux qui le virent, à ce moment, doutaient qu’il pût prononcer son discours de réception. Il le prononça cependant, d’une voix plus voilée que de coutume ; mais, dès le seuil, avec une gaieté bleue dans son regard, il plaisantait sur la mort qu’il venait de voir de si près. (Discours aux funérailles d’un membre de l’Académie française, 1914)

Plusieurs travaux (e.g. Barceló & Bres 2006 : 160-161) ont repéré le fait qu’une séquence narrative au Passé simple peut être introduite par un Passé composé, et parfois se conclure également par un Passé composé. Ce temps verbal sert alors à la fois d’annonce et/ou de résumé de la séquence de Passé simples, ces derniers en constituant une « élaboration » (selon la terminologie utilisée dans la théorie des relations de discours). Exemples :

(22)  J’ai lu à M. Despréaux votre derniere lettre : il en fut très content, et trouva que vous écriviez très naturellement : je lui montrai l’endroit où vous dites que vous parliez souvent de lui avec M. l’ambassadeur ; et comme il est fort bon homme, cela l’attendrit beaucoup, et lui fit dire beaucoup de bien et de M. l’ambassadeur et de vous. (J. Racine, lettre à son fils, 23.02.1698, 247. Début d’un paragraphe)

(23)  Occupé vendredi à des travaux d’installation à la station de téléphérique de Medran, à Verbier, un ouvrier valaisan a connu une mort tragique. Il perdit en effet l’équilibre et alla s’écraser au sol d’une hauteur de sept mètres environ. Il fut tué sur le coup. La victime, M. C.J., âgée de 50 ans environ, était mariée, père d’un enfant. Elle habitait Bagnes. (Feuille d’Avis de Neuchâtel, brève intégrale, 04.09.1965)

Dans le premier texte, le Passé composé initial figure en début de paragraphe, dans un énoncé qui fait état d’une rencontre au cours de laquelle Racine a lu à M. Despréaux une lettre de son fils. Ensuite, le compte rendu de ce qui s’est passé lors de cette rencontre est mené au Passé simple. Le signe deux-points souligne ici la relation d’élaboration qu’il y a entre l’énoncé au Passé composé et la suite au Passé simple.

Dans le second texte, le contraste entre les deux temps verbaux est utilisé de la même manière, mais l’organisation du texte est conçue en trois phases : l’annonce proprement dite, au Passé composé ; le déroulé du drame, au Passé simple ; des informations sur la victime, formulées à l’Imparfait.

Il a également été observé que le Passé simple peut, sous certaines conditions, induire une interprétation inchoative, « ingressive » du procès signifié par le verbe (cf. 2.3.4. supra) [Note 77]. L’impression est alors que R ne recouvre pas l’intégralité de E mais seulement sa phase initiale ; ou que le verbe lui-même doit être interprété avec une signification inchoative. Ce fait d’interprétation se produit avec les verbes duratifs non téliques (activités et états vendlériens). Exemples :

(24)  En s’attablant, elle tira sa jupe sous son séant, joignit les genoux, rapprocha ses coudes de ses flancs en effaçant les omoplates et ressembla à une jeune fille. (Colette, 1944)

(25)  L’alcool lui endormait doucement les sens. Et il voulait les réveiller à nouveau pour le reste de la nuit. Alors il dansa. Encore et encore. Il se laissa envahir par la musique, par le rythme. L’alcool coulait dans ses veines. (roman, internet, 2009)

(26)  Un soir, à la maison, devant l’âtre qui flamboyait je m’assis devant le clavier et jouai une mélodie qui me passait par la tête. Mon père s’installa face au feu qui crépitait, pensif, se leva, fit quelques pas, puis retourna s’asseoir à côté de la cheminée. Je sentis que je ne devais pas m’arrêter de jouer (F. Reynaud, In : Karolak 2008b : 21)

Dans les deuxième et troisième exemples, l’interprétation inchoative est confirmée par le texte qui suit. Dans (26) par exemple, la fin de l’extrait (Je sentis que je ne devais pas m’arrêter de jouer) empêche que le Passé simple de jouai soit interprété comme référant à l’intégralité de l’intervalle temporel du procès. Du coup, les déplacements successifs du père (s’installa, se leva..., retourna s’asseoir), de même que je sentis, doivent être compris comme temporellement inclus dans l’intervalle ouvert par je jouai. On observe le même type de relations temporelles dans (25).

3.4.3.2. Passé simple factuel

Il s’agit du Passé simple utilisée non pas pour narrer une séquence d’événements, mais pour présenter ou asserter ce que nous appellerons un « fait ». Comme la variante narrative, le Passé simple factuel peut figurer dans des énumérations plus ou moins longues de procès, mais en suspendant toute information concernant la chronologie de ces procès. Ces énumérations ne poursuivent pas une finalité narrative mais argumentative (ce qui justifie le terme de « fait »). L’extrait suivant, relativement long, permet de voir de quoi il s’agit :

(27)  Le lendemain devait prendre place parmi les jours les plus extraordinaires de l’histoire de la Maison Vauquer. Jusqu’alors l’événement le plus saillant de cette vie paisible avait été l’apparition météorique de la fausse comtesse de l’Ambermesnil. Mais tout allait pâlir devant les péripéties de cette grande journée, de laquelle il serait éternellement question dans les conversations de madame Vauquer. D’abord Goriot et Eugène de Rastignac dormirent jusqu’à onze heures. Madame Vauquer, rentrée à minuit de la Gaieté, resta jusqu’à dix heures et demie au lit. Le long sommeil de Christophe, qui avait achevé le vin offert par Vautrin, causa des retards dans le service de la maison. Poiret et mademoiselle Michonneau ne se plaignirent pas de ce que le déjeuner se reculait. Quant à Victorine et à madame Couture, elles dormirent la grasse matinée. Vautrin sortit avant huit heures, et revint au moment même où le déjeuner fut servi. Personne ne réclama donc, lorsque, vers onze heures un quart, Sylvie et Christophe allèrent frapper à toutes les portes, en disant que le déjeuner attendait. Pendant que Sylvie et le domestique s’absentèrent, Mlle Michonneau, descendant la première, versa la liqueur dans le gobelet d’argent où elle faisait chauffer le lait mélangé de crème au bain-marie. (H. de Balzac, 1942)

Dans ce texte, le narrateur commence par annoncer que la journée dont il va être question a été des plus extraordinaires. Il entreprend ensuite d’énumérer un certain nombre de faits justifiant cette affirmation. Le début de cette argumentation est formellement marqué par D’abord. Les énoncés au Passé simple qui viennent ensuite passent en revue un certain nombre d’événements qui ont pour point commun de s’être tous déroulés durant la nuit et le matin de la journée en question, mais dont l’ordre chronologique est non pertinent : ...dormirent jusqu’à onze heures, ...resta jusqu’à dix heures, ...causa des retards, ...ne se plaignirent pas de ce que le déjeuner se reculait, ...dormirent la grasse matinée, ...sortit avant huit heures, etc. La pertinence de ces événements est que chacun contribue à étayer l’assertion initiale concernant le caractère extraordinaire de la journée en question. Il faut attendre la dernière partie de l’extrait pour que réapparaissent des éléments de chronologie. À partir de donc et de l’expression de localisation temporelle vers onze heures un quart, les énoncés redeviennent narratifs et rendent compte d’une courte séquence chronologique de procès : Sylvie et Christophe allèrent frapper..., pendant que Sylvie et le domestique s’absentèrent, Mlle Michonneau [...] versa la liqueur...

On notera que l’adverbe D’abord qui ouvre cette séquence d’énoncés factuels ne concerne pas la temporalité des événements narrés, mais celle du discours lui-même (il porte sur l’énonciation) [Note 78] ; et qu’aucun ensuite ou expression fonctionnellement équivalente ne donne suite à ce D’abord.

On observera également que dans cette énumération, chaque énoncé prédique sur un référent distinct : Goriot et Rastignac, Mme Vauquer, Christophe, Poirot et Mlle Michonneau, Victorine et Mme Couture, Vautrin. Au contraire, dans les séquences narratives stricto sensu, la tendance générale est plutôt à la conservation des référents.

Cet emploi du Passé simple se rencontre parfois encore, mais il est plutôt ressenti comme archaïque. Dans le français du xxie siècle les énoncés factuels passés sont exprimés par le Passé composé ou le Plus-que-parfait. Ce ressenti est évidemment variable. Il dépend des pratiques linguistiques, notamment des pratiques de lecture des sujets parlants, de leur familiarité plus ou moins grande avec des états antérieurs de la langue. C’est bien là d’ailleurs tout le problème que pose la description du Passé simple. Comment décrire une forme verbale dont l’existence dans la compétence des sujets parlants est répartie de façon si peu homogène ? Le problème est d’autant plus évident que les personnes qui décrivent les temps verbaux (en principe des linguistes) ont en général des intuitions et une compétence langagière très peu représentatives des savoir-faire langagiers communs.

Parfois, la dimension argumentative est dissoute dans le projet de livrer quelques faits significatifs concernant un référent donné. Mais la chronologie, même si elle peut être plus ou moins respectée, n’en demeure pas moins non pertinente. Voir cet extrait d’une rubrique nécrologique :

(28)  L’actrice [Marie-José Nat] se remaria en 2005 avec l’écrivain, peintre et parolier Serge Rezvani. Sous pseudonyme, il signa J’ai la mémoire qui flanche et Le tourbillon de la vie, immortalisées bientôt par Jeanne Moreau. Dans L’Ultime amour, le récit de sa vie, il écrivit des mots superbes sur sa dernière épouse, sur une nouvelle chanson, partition à l’appui : « J’ai cru ma vie finie, bien avant toi, ô Marie-Jo... ». (Site du Figaro, 10.10.2019, dernier paragr. d’une notice nécrologique annonçant le décès de l’actrice Marie-José Nat)

Peu importe, dans ce paragraphe, si les livres de Rezvani ont été publiés dans l’ordre où ils sont évoqués, ou si leur publication est antérieure ou non à son mariage avec M.-J. Nat. Il s’agit là simplement d’un ensemble d’informations que le lecteur est invité à considérer comme utiles, significatives, bref pertinentes, s’agissant de l’actrice en question.

On notera rétrospectivement que certains extraits présentés supra comportaient déjà des exemples de Passés simples en emploi factuel : (1) : Leur industrie fut de vaincre et de convaincre, Quand Chanel lança-t-elle la robe noire ? Quand furent lancés le Normandie, le Laté 28 ? – (11) : ce que dut être sa valeur de provocation, où elle fut d’abord publiée, par exemple.

Le Passé simple factuel paraît encore davantage obsolète quand il a la signification d’un parfait d’expérience (Zandvoort 1932), c’est-à-dire quand l’énoncé où il figure signifie que le procès désigné est advenu une fois au moins dans le passé [Note 79]. Exemple :

(29)  Je fis toujours des réserves sur la comparaison [entre Hitler et Staline], tout en reconnaissant la similitude de certains phénomènes. Le national-socialisme n’a gouverné le pays en temps de paix que six années ; il n’est devenu vraiment totalitaire que pendant la guerre et il apparaît aujourd’hui l’aventure d’un homme génial et pathologique. (R. Aron, Le spectateur engagé : entretiens avec J.-L. Missika et D. Wolton, 1981)

3.4.3.3. Passé simple générique

On pourrait également le qualifier de « gnomique ». Il s’agit du Passé simple qu’on trouve dans quelques proverbes, comme les suivants :

(30)  Un dîner réchauffé ne valut jamais rien.              
Il n’y eut jamais peau de lion à bon marché.

Nous avons distingué plus haut (§ 3.1.3.4.) les énoncés génériques appartenant au petit corpus des expressions proverbiales figées, de ceux qui sont librement construits. Le Passé simple générique ne se rencontre que dans la première de ces sous-classes. Il n’entre jamais dans des énoncés génériques librement construits. On peut voir dans cette limitation l’un des nombreux symptômes de son obsolescence.

3.4.3.4. Passé simple à rendement d’antériorité

L’antériorité n’est pas une propriété du Passé simple. C’est en revanche une propriété, du moins un rendement possible, des temps composés, comme on le verra plus loin. Cependant, dans certains contextes le Passé simple peut être exploité pour signifier l’antériorité relativement à d’autres procès eux-mêmes situés dans le passé (voire dans le présent). Il en va ainsi dans les exemples suivants :

(31)  Toi, la ribaude, qui te grattes le corps, tu as volé l’argent de ce voyage à un seigneur en échange du mal que tu lui donnas. (J. Green, in : Imbs 1960 : 85)

(32)  Une touche de zen, en fin de festival, ne fait de mal à personne. C’est Noami Kawase, Grand Prix 2007 à Cannes, qui la distille, une des cinéastes japonaises les plus passionnantes du moment, auteur d’une œuvre qui se partage entre l’essai, le journal intime et la fiction (elle remporta à Cannes la Caméra d’or en 1997 avec Suzaku, suivi de Hotaru en 2000 et de Shara en 2003). (Le Monde, 29.05.2007, début de l’article)

Cette antériorité peut coïncider avec une séquence de narration rapportée. Le Passé simple se trouve alors dans la situation de marquer formellement une double transition : temporelle et énonciative :

(33)  [Lettre de Racine à Boileau, dans laquelle il est question du siège de Namur]         
On raconte plusieurs actions particulieres que je vous redirai quelque jour, et que vous entendrez avec plaisir. Mais en voici une que je ne puis différer de vous dire, et que j’ai ouï conter au roi même. Un soldat du régiment des Fusiliers, qui travailloit à la tranchée, y avoit apporté un gabion [Note 80] ; un coup de canon vint qui emporta son gabion : aussitôt il en alla poser à la même place un autre, qui fut sur-le-champ emporté par un autre coup de canon. Le soldat, sans rien dire, en prit un troisieme, et l’alla poser ; un troisieme coup de canon emporta ce troisieme gabion. Alors le soldat rebuté se tint en repos ; mais son officier lui commanda de ne point laisser cet endroit sans gabion. Le soldat dit : « J’irai ; mais j’y serai tué. » Il y alla, et, en posant son quatrieme gabion, eut le bras fracassé d’un coup de canon. Il revint soutenant son bras pendant avec l’autre bras, et se contenta de dire à son officier : « Je l’avais bien dit. » Il fallut lui couper le bras, qui ne tenoit presque à rien. Il souffrit cela sans desserrer les dents, et, après l’opération, dit froidement : « Je suis donc hors d’état de travailler ; c’est maintenant au roi à me nourrir. » Je crois que vous me pardonnerez le peu d’ordre de cette narration ; mais assurez-vous qu’elle est fort vraie. (J. Racine, Corresp., 3.06.1692)

3.4.3.5. Passé simple à rendement médiatif

Plusieurs travaux ont montré que, contrairement à ce qui a parfois été écrit, le Passé simple n’est pas incompatible avec les interprétations médiatives (par ex. Ducrot 1980, Sthioul 1998, 2000 ; Tahara 2000 ; Bres 2003 ; Nølke & Olsen 2003). En voici un exemple :

(34)  Enfin, le navire partit. Et les deux berges, peuplées de magasins, de chantiers et d’usines, filèrent comme deux larges rubans que l’on déroule.      
Un jeune homme de dix-huit ans, à longs cheveux et qui tenait un album sous son bras, restait auprès du gouvernail, immobile. (G. Flaubert, 1869)

On est ici en présence de ce que Borillo (2012) a appelé « perception inversée » : au lieu de décrire la situation en représentant le navire comme mobile et l’espace où il se déplace comme immobile, l’instance narratrice décrit l’espace comme mobile. Cette inversion a pour effet de donner de la situation une représentation qui est celle des passagers se trouvant à bord (qui deviennent médiateurs). Compte tenu du fait que les magasins, chantiers et usines sont généralement tenus pour des objets inertes et occupant toujours le même lieu, c’est ici le choix du verbe qui déclenche cette interprétation médiative.

Dans l’exemple suivant, c’est le grammème de Passé simple à lui seul qui contraint à interpréter l’énoncé comme médiatif :

(35)  [Deux personnes marchent de part et d’autre d’une rivière, cherchant à se rejoindre]          
Chacun sur une rive, et les courants rapides entre eux, ils marchèrent parallèlement, leurs images réfléchies se joignant au centre même de la rivière unie comme un miroir. [...] Autour d’eux, les bois semblaient à chaque pas épaissir encore leurs profondeurs noires, l’eau resserrée entre ses berges élevées prenait la transparence fluide de la nuit. Un pont de bois rustique, fait de troncs grossièrement ajustés, joignit les deux rives et l’un derrière l’autre ils pénétrèrent au cœur de la forêt. (J. Gracq, 1938, in Barceló et Bres 2006 : 37)

L’expression un pont de bois rustique... joignit les deux rives indique, ou suggère, que les deux personnes ont soudain aperçu un pont leur permettant de se rejoindre. Le choix du Passé simple est ici extrêmement significatif. En raison de sa perfectivité, ce temps verbal présente la proposition ‘un pont joindre les deux rives’ non comme la description d’un état, d’une existence permanente (ce que ferait un Imparfait), mais comme un événement soudain et temporellement localisé. Compte tenu de notre connaissance du monde (un pont ne vient pas à exister instantanément), il en résulte que le Passé simple de joignit nous donne le point de vue des deux protagonistes, instaurés ainsi en médiateurs. En même temps, il proroge l’information selon laquelle ils sont en train de progresser le long de la rivière. C’est donc dans cet exemple l’aspect verbal (plus précisément la perfectivité du Passé simple) qui est responsable de l’interprétation médiative. Un Imparfait, temps verbal pourtant traditionnellement rattaché à la médiativité, aurait ici un tout autre effet : il ne nous contraindrait pas, comme le Passé simple, à associer à la présence du pont le point de vue d’un médiateur. Mis à part cette lecture médiative, le Passé simple de cet exemple est un Passé simple narratif ordinaire.

Le point commun de ces deux exemples est que la médiativité y apparaît comme la résolution d’une aberration de la signification « littérale » (i.e. non-médiative).

3.4.4. Références bibliographiques

Ouvrages sur le Passé simple

Do-Hurinville Danh Thành (2015). Étude des temps verbaux dans la presse française contemporaine. Hanoi : Éditions Université Nationale de Hanoi. [Ouvrage portant principalement sur le Passé simple et le Passé composé]

Herzog Christian (1981). Le passé simple dans les journaux du xxe siècle. Berne : Francke.

Labeau Emmanuelle (2022). The decline of the French Passé simple. Leiden: Brill.

Molendijk Arie (1992). Le passé simple et l’imparfait : une approche reichenbachienne. Amsterdam : Rodopi.

Vetters Carl (1992). L’opposition passé simple-imparfait : une question d’aspect ou de structuration textuelle. Anvers : Universiteit Antwerpen. Thèse de doctorat.


3.5. Le Conditionnel

(Voir aussi la notice consacrée spécifiquement à ce temps verbal   >Notice ).

3.5.1. Introduction

Sauf s’il est nécessaire de le préciser, on appellera ici « Conditionnel » la forme désignée habituellement par l’expression « Conditionnel présent », par opposition au « Conditionnel passé », forme composée. Le Conditionnel passé est traité dans la notice consacrée aux temps composés (§ 4.6.).

Beaucoup de travaux voient dans la morphologie du Conditionnel présent l’existence de deux grammèmes :

– un grammème représenté, aux personnes 1, 2, 3, 6, par la voyelle [ɛ], et aux personnes 4 et 5, par la semi-voyelle [j] (il y a donc supplétion morphologique) ;

– un grammème représenté par la consonne [ʁ] à toutes les personnes.

On s’accorde généralement pour considérer le premier grammème comme étant celui de l’Imparfait. Mais l’interprétation du second grammème est loin de faire l’unanimité. Certains considèrent ce [ʁ] comme un grammème d’Infinitif (e.g. Buridant 2000, Merle 2001, Bres 2018), d’autres comme un grammème de Futur (e.g. Vetters 2001, Gosselin 2005, Riegel et al. 2009). Cette consonne a certes son origine dans un Infinitif latin, mais les interprétations qu’on lui attribue demeurent assez fragiles dans la mesure où elles ne dissocient pas toujours clairement vérité diachronique et vérité synchronique [Note 81]. D’ailleurs, comme c’est souvent le cas en morphologie flexionnelle, où les formes amalgamées et la supplétion sont fréquentes, il n’est pas certain que le Conditionnel puisse être analysé comme une forme véritablement compositionnelle (cf. Kilani-Schoch & Dressler 2004).

Il n’en demeure pas moins que la parenté entre Futur et Conditionnel est, sinon importante, du moins partielle. En effet, si l’on peut douter du statut et de la signification de la consonne [ʁ] en français actuel, il est en revanche certain que le Conditionnel et le Futur partagent plusieurs propriétés morphologiques. Par exemple, tous les verbes en français, sans exception, utilisent le même radical pour le Conditionnel et pour le Futur. Et, parmi les nombreux verbes dont le radical présente une allomorphie, certains ont un allomorphe qui n’est utilisé que pour ces deux temps verbaux. Quelques exemples : se‑rait, au-rait, i-rait, voud-rait, pour-rait, sau-rait, ver-rait, craind-rait... [Note 82] . Selon Curat (1991), il s’agit là d’éléments importants rapprochant ces deux temps verbaux.

Cette proximité est confortée, au plan sémantique, par deux observations :         
– par le fait que les emplois spécifiquement temporels du Conditionnel signifient l’ultériorité du passé. On doit le qualificatif d’« ultérieur » à Damourette & Pichon (1914-1936) [Note 83] , et nous reprendrons ici ce terme ;         
– par le fait que, comme le Futur, il ne spécifie pas si la visée aspectuelle est perfective ou imperfective. Il est neutre relativement à cette distinction (voir plus bas).

Indépendamment de sa morphologie, le Conditionnel a donné lieu à une grande variété d’analyses, souvent contradictoires, ainsi qu’à de multiples discussions et polémiques, qu’il est impossible de présenter ici dans le détail [Note 84]. Cette situation s’explique par le fait que ce temps verbal est associé à d’assez nombreux emplois considérés comme « modaux ». Leur nombre, leur définition et les appellations qui leur sont données varient d’ailleurs considérablement d’une étude à l’autre.

Outre ces questions d’inventaires et de typologies d’emplois, les principaux points ayant fait débat sont les suivants :

– Le Conditionnel est-il d’abord un marqueur aspectuo-temporel ou un marqueur modal ? Comme le note Bres (2018), cette question est pratiquement aussi ancienne que la grammaire française. Les grammaires d’usage hésitent aujourd’hui encore à le considérer comme un « temps » ou comme un « mode ». Par ailleurs, si l’on considère que le Conditionnel comporte un grammème d’Imparfait, alors la question se pose – comme pour ce dernier – de déterminer si ce grammème véhicule, dans le Conditionnel, la signification de « passé » ou celle d’« inactualité » (cf. § 3.2.1.). Selon la réponse, le Conditionnel sera considéré ou non comme un temps du passé [Note 85].

– Parmi les emplois aspectuo-temporels (ultériorité du passé) et modaux, y en a-t-il qui sont premiers ? si oui, le(s)quel(s) ? Les linguistes ont souvent recours à des arguments diachroniques pour trancher cette question, en cherchant à établir quels sont les emplois diachroniquement premiers. On pourra consulter sur ce point Patard & De Mulder (2012) et Bres (2012).

Par souci de cohérence avec ce qui précède, notamment concernant l’Imparfait, et en accord avec d’assez nombreux travaux, on considérera ici que le Conditionnel est avant tout un temps signifiant l’ultériorité par rapport à un repère passé. Nous tenterons de montrer que les significations modales qu’il peut produire, en association ou non avec l’ultériorité, peuvent être décrites comme dérivées de la valeur temporelle.

3.5.2. L’ultériorité du passé

Cette expression signifie que, dans ses usages temporels, le Conditionnel donne du procès une représentation consistant à le situer postérieurement – « ultérieurement » – à un repère localisé dans le passé. Autrement dit, la localisation du procès utilise la connaissance préalable d’un repère et de sa localisation temporelle. C’est donc un temps anaphorique, plus exactement anadéictique (cf. § 2.3.5.) : déictique, dans la mesure où le repère est localisé comme antérieur à l’énonciation ; et anaphorique, dans la mesure où la référence du temps verbal est localisée par rapport à ce repère. Le repère sera désigné par r1. On a donc, et dans cet ordre, les deux relations : r11

La première est que, à lui seul, le Conditionnel ne situe pas la référence temporelle dans une époque particulière [Note 86] . Il la localise de façon relative, et donne comme seule information qu’elle doit être ultérieure à r1 (à cet égard l’appellation d’« ultérieur du passé » paraît préférable à celle d’« ultérieur dans le passé »). Il y a cependant une exception à ce principe, sur laquelle on revient plus loin.

La seconde conséquence tient à l’anaphore. Dans des conditions d’utilisation purement temporelles, le repère r1 du Conditionnel doit, pour que la référence temporelle puisse être interprétée, trouver dans le contexte où il figure un ancrage : on doit pouvoir lui assigner une localisation temporelle. Or, comme nous le verrons, certains contextes peinent à fournir cet ancrage. Il en résulte des conséquences sémantiques, en particulier modales, que nous examinerons plus loin.

La troisième conséquence concerne l’aspect. L’Imparfait étant imperfectif (R⊂E) et le Futur indéterminé du point de vue de l’opposition imperfectif vs perfectif (R⊆E), on peut se demander quelle est la visée aspectuelle du Conditionnel. En fait, c’est le composant ultérieur – dominant dans la structure – qui détermine l’aspect du Conditionnel. Nous verrons en effet que ce temps verbal a la même visée aspectuelle que le Futur. Il s’agit là d’un autre point rapprochant ces deux temps.

Comment r1 trouve-t-il son interprétation temporelle ? Examinons quelques exemples de Conditionnels signifiant l’ultériorité :

(1)  Ah ! Je ne vous cacherai pas que je suis dévorée d’inquiétude, Madame ! J’ai pu calmer ces gens, hier soir, en leur disant qu’Huspar et mon petit Albert seraient ici ce matin à la première heure ; (J. Anouilh, 1958)

(2)  Le réveil marquait deux heures du matin. Elle remit du bois dans la cuisinière pour donner du thé chaud aux hommes quand ils rentreraient. (J. Meckert, 1947)

(3)  À la place de leur sommier à lattes posé à même le sol, campait avec insolence un lit-cage en bois blond garni d’un duvet bleu roi. En fait, tout l’appartement avait été réorganisé – il l’apprendrait plus tard – avec la complicité de sa mère [...]. (M. Gazier, 1995)

Le Conditionnel de (1) situe le procès, plus exactement la référence temporelle, ultérieurement au procès consistant dans les propos tenus la veille au soir (hier soir, en leur disant...). C’est ce procès qui fournit un ancrage temporel à r1, et par rapport auquel est situé comme ultérieur l’intervalle de référence signifié par le Conditionnel. Cette ultériorité est par ailleurs spécifiée par l’adverbial ce matin.

Dans (2), c’est comme précédemment le moment où advient le dernier procès mentionné (remit du bois...) qui ancre temporellement r1, moment lui-même spécifié (deux heures du matin). On pourrait en outre voir dans ce Conditionnel une connotation de pensée rapportée, autrement dit une dimension médiative. Nous y reviendrons.

L’exemple (3) est un peu différent, pour des raisons que nous examinerons plus loin. Mais il s’agit bien toujours d’ultériorité du passé. Le repère r1 est ici également fourni par le moment où est parvenu le cours de la narration.

Comme on le voit, c’est en général un autre procès qui ancre temporellement le repère r1 du Conditionnel. Nous représenterons néanmoins ce repère comme un point, non comme un intervalle, en raison précisément de cette fonction de repère [Note 87].

3.5.3. Visée aspectuelle

Le Conditionnel présent est un temps processif : il donne à voir la phase processive du procès signifié par le verbe ; ce n’est ni un temps prospectif ni un temps résultatif. Par ailleurs, nous avons signalé plus haut qu’il est sous-déterminé relativement à la distinction imperfectif vs perfectif. On observe en effet que, selon le contexte dans lequel il se trouve (le lexème verbal étant, rappelons-le, le premier élément de ce contexte), le Conditionnel présent peut référer à la phase processive selon une visée imperfective ou perfective (R⊆E).

Dans le premier exemple ci-dessous, la représentation du procès est imperfective ; dans le second, elle est perfective. Cette différence tient ici au lexème verbal :

(4)  Non, il ne prenait pas le train de Cologne, mais celui d’Augsbourg, correspondance pour Immenstadt, arrivée prévue à six heures du soir. Où l’attendrait Grete, avec Harbayer. (A.-M. Garat, 2008)

(5)  Rui Costa s’est blessé le 23 décembre dernier lors de la victoire de son équipe contre Vérone et, après lui avoir fait passer des tests mercredi, le Milan AC a fait savoir sur son site Internet officiel que le joueur reviendrait dans un mois « sauf complications ». (L’Orient-Le Jour, 4 janv. 2002)

En interprétation perfective (R=E) se pose la question de savoir quelles contraintes pèsent sur la localisation temporelle de l’intervalle formé par le couple R-E. La seule information que le temps verbal donne concernant la localisation de cet intervalle est qu’il est postérieur à r1. Il peut donc être localisé aussi bien dans le passé que dans le présent ou le futur. Dans l’exemple (5), il est localisé dans le futur.

En interprétation imperfective (R⊂E) se pose une autre question, celle de la localisation temporelle de la borne initiale du procès (E1) (comme dans le cas du Futur imperfectif). Etant donné que E1 est par définition antérieure à R1, borne initiale de l’intervalle R de la référence temporelle, qu’elle échappe donc à toute « visibilité », rien ne s’oppose à ce qu’elle soit également antérieure au repère r1 (Gosselin 1996, 2005). Cette possibilité est réalisée dans l’exemple suivant :

(6)  Il a dit hier qu’il attendrait encore quelques jours.

Dans cet exemple, où le repère r1 est ancré sur hier, l’attente (E) peut aussi bien n’avoir pas encore débuté, qu’avoir débuté avant r1. Seul R, portion temporelle désignée par le Conditionnel, est postérieur à r1.

En résumé, le Conditionnel présente l’une ou l’autre des deux configurations temporelles suivantes :

Tableau 4. –Propriétés du conditionnel en interprétations
perfective et imperfective
Interprétation perfective Interprétation imperfective
r0⊂S r0⊂S
r1 r1
R>r1 R>r1
R=E R⊂E

La Figure 10a donne le chronogramme du Conditionnel perfectif :

schéma

Les pointillés signalent que la seule information de localisation que donne le Conditionnel est que le couple R-E est postérieur à r1. L’intervalle que forme ce couple peut donc être aussi bien antérieur, concomitant ou postérieur à S. Un énoncé comme il a promis qu’il partirait à huit heures peut être produit aussi bien si le moment désigné par à huit heures précède ou suit le moment de l’énonciation.

La Figure 10b donne le chronogramme du Conditionnel imperfectif :

schéma
Figure 10b : Chronogramme du Conditionnel présent à visée imperfective

À la différence du Conditionnel perfectif, la variante imperfective se caractérise par le fait que la borne initiale du procès (E1) est hors référence temporelle, de sorte qu’aucune contrainte, en dehors d’être antérieure à R1, ne s’exerce sur cette borne (cf. les pointillés et la flèche allant à gauche). Cependant, rien n’empêche non plus l’intervalle E dans son entier d’être postérieur à S (cf. les pointillés et la flèche allant à droite).

Dans l’interprétation la plus probable de l’ex. (6) ci-dessus, clairement imperfectif, l’attente dont il est question a débuté avant les propos rapportés, eux-mêmes étant localisés par hier (E11). Quant à la référence temporelle R, elle doit seulement débuter après r1 et se terminer après S (cf. encore quelques jours). La représentation de (6) est donc la suivante :

schéma
Figure 10c : Chronogramme de l’exemple :
Il a dit hier qu’il attendrait encore quelques jours

En conclusion, quelle que soit la visée aspectuelle, le Conditionnel n’assigne par lui-même aucune contrainte d’époque à la localisation de la référence temporelle. Et, quand il est imperfectif, il ne s’oppose pas à ce que le procès ait débuté avant le repère passé r1.

3.5.4. Emplois

Il existe de nombreux inventaires, classifications et dénominations d’emplois du Conditionnel, utilisant une terminologie parfois discutable sur le plan de la logique, voire confuse, et sur laquelle les auteurs sont d’ailleurs loin de s’accorder. L’un des principaux problèmes de ces inventaires est qu’ils peinent à isoler des types véritablement étanches.

Un certain consensus paraît cependant exister pour accorder un statut central à trois dimensions sémantiques :

– à l’ultériorité du passé, autrement dit la fonction de localisation temporelle de certains emplois du Conditionnel,   
– à l’existence d’emplois spécifiquement modaux, ceux-là mêmes qui sont à l’origine du nom donné à ce temps verbal (formulation d’hypothèses, raisonnement sous condition),         
– à la médiativité, c’est-à-dire au fait que certains emplois marquent l’information véhiculée par l’énoncé comme ayant été produite par une instance autre que le locuteur.

Si l’on considère ces trois dimensions comme fondamentales et qu’on en examine les différentes combinaisons possibles, alors on peut faire les trois observations suivantes :

– En premier lieu, le Conditionnel est apte à exprimer ou à relayer chacune de ces dimensions à l’exclusion des deux autres.      
– En second lieu, il peut également exprimer diverses combinaisons de ces dimensions.  
– Enfin, une seule combinaison parait impossible : celle de l’ultérieur et du modal. Ces deux dimensions ne peuvent cohabiter que s’il y a également médiativité.

Par commodité, on notera ces dimensions à la manière de traits sémantiques. La combinatoire se présente donc comme suit :

  [ultérieur]        
  [médiatif]        
  [modal]
  [ultérieur] x [médiatif]  
  [médiatif] x [modal]     
  [ultérieur] x [médiatif] x [modal]

Examinons chacun de ces six cas.

3.5.4.1. [ultérieur]

Ces Conditionnels signifient seulement l’ultériorité du passé au sens défini plus haut, et se rencontrent typiquement en contexte narratif. Par analogie avec certains emplois du Présent et de l’Imparfait, on les qualifie parfois pour cette raison de « narratifs » ou d’« historiques ». Ils produisent une prolepse au sens que Genette (1972 : 82) a donné à ce terme, c’est-à-dire qu’ils marquent une anticipation sur la suite du cours narratif :

(7)  A la place de leur sommier à lattes posé à même le sol, campait avec insolence un lit-cage en bois blond garni d’un duvet bleu roi. En fait, tout l’appartement avait été réorganisé – il l’apprendrait plus tard – avec la complicité de sa mère [...]. (M. Gazier, 1995)

(8)  Juju était le chef de la « base ouvrière » de Sochaux. Un petit râblé, tout en muscles compacts et voix rauque, un petit matelot qui aurait bien plu à Genet. Quelques années plus tard, il se tuerait magnifiquement sur une route de cette contrée que la rigueur de ses hivers fait nommer « petite Sibérie » : sa voiture faucherait tout un bosquet de sapins avant de s’arrêter, embrochée par le toit sur un tronc cassé. (O. Rolin, 2002)

L’anticipation peut être considérée comme une intervention de l’instance narratrice sur la chronologie des événements, intervention par laquelle cette instance signale qu’une ou plusieurs étapes sont sautées. C’est l’équivalent du flash-forward dans le montage cinématographique. Cet emploi est fréquent dans les biographies et les textes des historiens. La raison en est vraisemblablement que les procès désignés dans ce type de texte sont par convention considérés comme effectivement advenus.

Le repère r1 correspond, dans cet emploi, au moment où est parvenu le cours des événements narrés. L’ultériorité signifiée ici a été qualifiée d’« objective » par Nilsson-Ehle (1943), au motif qu’elle est complètement prise en charge par l’instance narratrice, donc non médiative et dénuée de toute expression de doute. Elle s’oppose aux cas où l’ultériorité est « subjective », qui seront examinés plus bas.

Par rapport aux chronogrammes discutés plus haut, cet emploi du Conditionnel présente un point de divergence important. La référence temporelle y est en effet obligatoirement localisée dans le passé, elle ne peut pas franchir l’intervalle d’énonciation (Azzopardi 2011). Pour que S puisse être franchi, il faut que l’ultériorité s’accompagne de médiativité. Interprété médiativement, il viendrait peut localiser sa référence aussi bien dans le passé, le présent ou le futur (cf. Il a dit qu’il viendrait demain) ; interprété de façon purement et exclusivement ultérieure, il ne peut la localiser que dans le passé (cf. Finalement il ne viendrait que le lendemain).

Selon Bres (2012), l’emploi exclusivement ultérieur du conditionnel est récent. Il ne se rencontre guère avant la première moitié du xixe siècle, et les premiers linguistes à le mentionner sont Damourette & Pichon. Il aurait comme origine des emplois médiatifs, donc « subjectifs », se trouvant dans un contexte tel qu’une interprétation « objective » est également possible (bridging context). L’un des exemples que donne Bres est le suivant :

(9)  Hélas ! qui dans ce temps aurait pu croire qu’un tel homme serait un jour accusé d’être dur, arrogant et factieux ? Ah ! jamais une âme plus pure n’a traversé la région des orages, et ses ennemis, en le calomniant, commettent une impiété ; (Mme de Staël, 1817)

Dans cet emploi, le Conditionnel a comme concurrents le Futur, le Passé prospectif et les formes en devoir à l’Imparfait + Vinf.

Ašić et al. (2017) ont observé, à partir d’une étude de corpus, que cet emploi du Conditionnel s’accompagne dans plus de la moitié des cas d’une expression de localisation temporelle signifiant l’ultériorité, comme bientôt, un jour, ensuite, par la suite, plus tard, etc. (cf. les exemples (7)-(8) ci-dessus).

Le Conditionnel proleptique est sporadique et concerne presque toujours un seul verbe, éventuellement deux. Toutefois, quelques travaux (Wilhelm 2009, Ašić et al. 2017) ont observé qu’il existe une tendance récente, dans les textes littéraires (les auteurs citent J. Echenoz, D. Foenkinos, M. Houellebecq) à utiliser ce type de Conditionnel dans des séquences relativement longues en alternance avec un autre temps narratif. Voici l’un des exemples que produit Wilhelm (2009) :

(10)  Vers six heures il entendit Alice rentrer, sans pour autant suspendre son travail : il passerait la fin de l’après-midi à préciser quelques nuances des deux mouvements, Pressentiments suivi de Mort, de la Sonate 1.X.1905 de Janácek, après quoi il monterait retrouver Alice affairée dans la cuisine. Tiens, dirait-il, du poisson. Oui, répondrait Alice, pourquoi ? Non, rien, dirait Max en mettant la table, j’aime bien le poisson, où as-tu rangé les couverts à poisson ? Puis ils dîneraient ensemble en se racontant plus ou moins leur journée, puis ils passeraient un moment devant la télévision qui diffuserait ce soir-là Artists and Models – film déjà vu par Max qui, fatigué, en interrompit le déroulement peu après que Dean Martin eut enduit de crème solaire le dos et les épaules de Dorothy Malone en lui chantant Innamorata. Puis, chacun dans sa chambre, ils partiraient se coucher. (J. Echenoz, 2002, cité par Wilhelm 2009, 144)

Dans la chronologie de la lecture, on pourrait être tenté d’interpréter les premiers Conditionnels de cette séquence comme subjectifs, notamment en raison des deux-points, qui pourraient annoncer de la pensée rapportée. Mais la suite, tout particulièrement le retour inopiné du passé simple, nous fait vite comprendre qu’ils sont tous objectifs, donc proleptiques.

On pourrait penser que cette extension ou cette généralisation du Conditionnel proleptique le rapproche d’un temps narratif ordinaire comme le Passé composé ou le Passé simple. C’est ce que suggère Wilhelm (2009), qui parle d’une « quasi-équivalence » avec le passé simple. Ce n’est cependant pas tout à fait le cas. Dans une séquence de Conditionnels proleptiques comme (10), chaque Conditionnel est ancré sur la même valeur de r1, chacun désigne une ultériorité qui dépend de la même information temporelle : celle qui est donnée au début de l’extrait (vers six heures il entendit). Ces formes verbales sont donc anaphoriquement « alignées », et ceci en dépit du fait qu’elles désignent des procès qui, eux, sont bel et bien successifs.

3.5.4.2. [médiatif]

Il s’agit des cas où le Conditionnel est associé à deux propriétés : d’une part, le repère r1 y est sans ancrage, du moins cet ancrage peut être absent [Note 88] ; d’autre part, le Conditionnel y indique que l’énonciateur rapporte une information tout en indiquant qu’il n’en est pas la source. Il s’ensuit une signification de « non-prise en charge » de l’énoncé [Note 89] . Les Conditionnels suivants sont purement médiatifs :

(11)  Les incendies de l’Hérault seraient d’origine criminelle. (Titre, L’Express, 03.09.2010)

(12)  [Il est question des innovations orthographiques de l’écriture inclusive]  
Ces innovations sont inspirées par la préoccupation d’un traitement plus égalitaire, dans la langue, des femmes et des hommes, traitement égalitaire qui serait mal assuré par les noms masculins. (Inclure sans exclure, brochure de la Fédération Wallonie-Bruxelles, 2020)

(13)  Selon les médias, [...] le Pape François, souffrirait d’une maladie non précisée. Il aurait eu une « légère indisposition » mais continuerait ses activités pour la journée, rapporte Sahara Reporter. (actucameroun.com, 20.02.2020)

Cet emploi a donné lieu à un nombre important de publications et a reçu toutes sortes d’appellations : Conditionnel « d’emprunt », « de ouï-dire », « évidentiel », « journalistique », « épistémique », « testimonial » [Note 90], etc. Certains y ont vu une variante du Conditionnel des séquences de discours ou pensée rapportés sur le mode indirect libre, mais sans indication nécessaire de la source.

Deux cas peuvent se présenter, selon que l’identité du médiateur est indiquée, comme dans (13), ou non indiquée, comme dans (11-12). Ce dernier cas a tout particulièrement attiré l’attention, car certains spécialistes ont vu alors dans le Conditionnel l’un des rares marqueurs grammaticaux de l’évidentialité en français (par ex. Kronning 2005).

En utilisant un Conditionnel purement médiatif, comme dans les trois exemples ci-dessus, l’énonciateur suspend toute validation de l’assertion rapportée. L’idée, avancée par certains, qu’il y aurait en même temps expression d’un doute, ne peut que procéder d’inférences plus ou moins contingentes (Lazard 1999, Abouda 2001). Dans cet emploi, le Conditionnel ne donne par lui-même aucune information quant au crédit que l’énonciateur accorde à l’information rapportée. Ce crédit peut dépendre en revanche de celui accordé à la source de l’information, quand cette dernière est connue.

En fait, des exemples comme (11)-(13) diffèrent sémantiquement des formes traditionnellement reconnues comme du discours indirect libre. Comme le montre Authiez-Revuz (2020), ces Conditionnels ne consistent pas à proprement parler à rapporter le contenu d’un discours autre ; le discours autre n’est pas leur objet. Il est seulement utilisé pour modaliser le discours d’accueil (« modalisation par discours autre », dans la terminologie de cette auteure). De sorte que, dans une formulation comme (11), où aucune expression n’identifie cet autre discours, la seule information qui est donnée est que la proposition « Les incendies de l’Hérault sont d’origine criminelle » est assertée modulo le fait que sa source n’en est pas l’énonciateur. C’est très exactement cette « modulation » qu’apporte le Conditionnel (cf. aussi Guentchéva 1994).

Du point de vue temporel, les procès désignés par ces Conditionnels peuvent être aussi bien présents que futurs. Ceux des exemples ci-dessus désignent des procès présents. En revanche, l’exemple ci-après, dans l’une de ses interprétations temporelles (titre de presse annonçant le départ prochain d’une expédition), désigne un procès localisé dans le futur.

(14)  Une expédition partirait bientôt pour le pôle Sud. (In : Dendale 2018 : 63)

Un Conditionnel passé permet, dans le même type de contexte, de produire le même effet médiatif, avec comme valeur aspectuo-temporelle celle de passé processif ou de présent résultatif.

3.5.4.3. [modal]

Habituellement qualifiés d’« hypothétiques », de « conjecturaux » ou « d’éventualité », les emplois modaux du Conditionnel se caractérisent par le fait qu’ils expriment une modalité se rapportant à l’une des deux parties d’un raisonnement consistant :

– d’une part, à formuler une conjecture ou, plus généralement, à exprimer une réalité tout en signifiant que cette réalité est non validée dans l’univers actuel, « imaginée »,       
– d’autre part, à inférer de cette conjecture une ou plusieurs conséquences.

Le statut de conjecture de la première partie est très souvent marqué par une conjonction, typiquement si, auquel cas la norme prescrit de ne pas utiliser le Conditionnel, en dépit de très nombreuses attestations de cet usage. Mais cette conjonction n’est nullement indispensable, comme le montre l’exemple suivant :

(15)  Ce serait un règlement de comptes pour une histoire de stups que ça ne m’étonnerait pas. (Interview, Le Parisien, 24.12.2012)

La première partie se caractérise par l’effet d’attente qu’elle produit ; elle est, en ce sens, « projective ». Réciproquement, la seconde partie se caractérise par le fait qu’elle présuppose l’existence d’une première partie. Ces deux valeurs modales sont donc duales, i.e. réciproquement dépendantes l’une de l’autre. Pour sanctionner cette relation, nous les appellerons respectivement conditionnant et conditionné, appellations suggérées par Bres (2021). Dans l’exemple ci-dessus, le premier Conditionnel est conditionnant, et permet de formuler une conjecture à finalité explicative ; le second est quant à lui conditionné, et permet d’inférer une certaine conséquence de cette conjecture – conséquence qui revient ici à montrer qu’on attribue à la conjecture un certain crédit [Note 91].

Lorsqu’elles sont toutes les deux formulées au moyen d’une proposition, comme dans l’exemple ci-dessus, ces deux parties sont traditionnellement appelées « protase » et « apodose ». Nous ne reprendrons cependant pas cette terminologie, pour deux raisons :

D’une part, ces parties peuvent être réalisée autrement que par des propositions. Cela est particulièrement vrai de la partie conditionnante. Ainsi, dans une formulation comme Toute intervention extérieure aggraverait la situation, c’est l’expression nominale toute intervention extérieure qui réalise la fonction modale conditionnante (cf. s’il y avait une intervention extérieure, cela aggraverait la situation). Le Conditionnel de aggraverait y réalise donc la modalité conditionnée.

D’autre part, comme nous le verrons, ces deux parties ne sont pas nécessairement toutes les deux réalisées. La partie conditionnante, en particulier, est souvent implicite. Elle peut également prendre la forme d’une subordonnée temporelle, comme dans l’exemple suivant :

(16)  quand il dit des trucs comme ça je l’étranglerais. (Forum internet, 6 oct. 2010)

Quand ces valeurs modales s’expriment sans qu’il y ait ultériorité, le repère r1 ne trouve pas d’ancrage temporel.

Conditionnel conditionnant

Voici un autre exemple, formulé cette fois-ci sous forme de question et non suivi de son partenaire conditionné :

(17)  Il ne serait pas un peu amoureux de toi, celui-là ? demande-t-il en repoussant le paillasson. (M. Desplechin, 1998)

Compte tenu du fait qu’il figure dans une question, il est plus difficile de rattacher ce Conditionnel, par ailleurs clairement modal, à l’une des deux modalités distinguées ci-dessus. On peut cependant l’interpréter comme ayant pour principale fonction d’indiquer que la réalité exprimée est possible mais non-validée au moment de l’énonciation, donc comme conditionnant. Dans cet exemple, le Conditionnel redouble pratiquement l’effet de la question. Celle-ci pourrait d’ailleurs être formulée au Présent [Note 92].

Ces Conditionnels n’expriment pas l’ultériorité. Comme dans le type exclusivement médiatif, le contexte dans lequel ils sont utilisés ne fournit aucun ancrage temporel au repère r1. Toutefois, le procès désigné n’en est pas moins localisé dans le présent. Pour le localiser dans le passé, il faudrait la forme composée (Conditionnel passé). Cette observation montre que l’opposition « temporel » vs « modal » n’est pas exclusive, comme on l’écrit parfois, en identifiant abusivement d’une part « temporel » et « réel », d’autre part « modal » et « incertain » ou « irréel ».

Le Conditionnel conditionnant connaît quelques rendements pragmatiques. Il donne notamment lieu à des exploitations performatives ou quasi-performatives, comparables à l’Imparfait pré-ludique (cf. § 3.2.5.3.) :

(18)  – À quoi on joue ?, j’ai demandé.           
– Ben, elle m’a répondu, on pourrait jouer à l’infirmière. Toi, tu serais très malade, et tu aurais très peur, alors moi, je te soignerais et je te sauverais. Ou, si tu préfères, ce serait la guerre, et toi tu serais blessé très gravement [...]. (Goscinny & Sempé, 2004)

Les procès décrits par ces Conditionnels sont, dans cette représentation de dialogue, destinés à devenir provisoirement une réalité de substitution ; et les actes censés se conformer ensuite à cette réalité ont, de fait, le statut d’éléments conditionnés.

Un autre rendement que ce Conditionnel partage avec l’Imparfait est l’atténuation, en particulier lorsqu’il s’agit d’atténuer des actes de parole directifs (requêtes, injonctions, questions, conseils) [Note 93] . En voici quelques exemples :

(19)  Je voudrais vous montrer des photos, dis-je à Blunt. (P. Modiano, 1978)

(20)  Je vous demanderais, monsieur Lanier, de lui dire adieu de ma part. (P. Cauvin, 1976)

(21)  Je vous conseillerais plutôt, poursuivit Bergotte, le docteur du Boulbon, qui est tout à fait intelligent. (M. Proust, 1919)

(22)  Cher docteur, pourriez-vous venir me voir demain dans la matinée, ou dans la soirée. (G. Sand, 1840)

(23)  Il faudrait que tu m’expliques quel est ton secret pour obtenir une telle luminosité avec un soleil qui se couche dès 17h20. (Blog, 25.11.2014)

Comme pour l’Imparfait, les emplois d’atténuation ne concernent qu’un très petit nombre de verbes (vouloir, pouvoir, avoir envie, avoir besoin, falloir, dire, conseiller et quelques autres) dans des formulations plus ou moins figées, la plupart du temps à la 1ère ou à la 2e personne [Note 94].

Conditionnel conditionné

Le Conditionnel sert ici à afficher que la validité de proposition où il figure dépend d’une « condition » précédemment (parfois ultérieurement) produite. Cette information conditionnante doit parfois être construite interprétativement, phénomène que Kronning (2001) appelle « protase implicite ».

Dans les exemples ci-après, l’expression qui fournit l’information conditionnante – ou à partir de laquelle cette information peut être inférée – est soulignée.

(24)  Ce serait un règlement de comptes pour une histoire de stups que ça ne m’étonnerait pas. (Interview, Le Parisien, 24.12.2012)

(25)  Vous savez, ai-je dit, il ne faut pas croire, quand les choses se seront tassées, ça me ferait vraiment plaisir d’avoir une liaison avec vous. (J.-P. Manchette, 1976)

(26)  C’est un privilège dont il serait criminel de ne pas user. (J. Anouilh, 1958)

(27)  Enfin, non, t’es pas si forte que ça... Sinon tu ferais pas des ménages, tu ferais comme ce mec, là... Tu bosserais... (A. Gavalda, 2004)

(28)  C’est dommage [que vous renonciez à insister davantage]. Je suis sûre que cela le frapperait beaucoup. (J. Anouilh, 1958)

(29)  Sa lenteur et sa tranquillité pour broyer ses chips me provoquent une accélération du cœur, un énervement croissant. Je pense alors que je pourrais la tuer [...]. (A. Ernaux, 2000)

En revanche, dans les exemples ci-dessous aucune expression ne formule directement la partie conditionnante. Ces Conditionnels requièrent donc la construction, par interprétation, d’un contexte conditionnant.

(30)  Ses chaussures viennent de chez John Lobb, pour rien au monde il ne changerait de fournisseur. (A. Gavalda, 1999)

(31)  On chercherait en vain dans le reste de l’Europe une machine de gouvernement aussi bien montée, aussi grande et aussi forte ; (A. de Tocqueville, 1856)

(32)  Il ferait n’importe quoi pour moi. (C. Roy, 1976)

(33)  À vrai dire j’aime assez être mal installé ; mon père appellerait cela : le goût de la macération, et t’expliquerait que ce qui est préjudiciable au corps prépare le salut de l’âme. (A. Gide, 1925)

Même phénomène dans le slogan ci-dessous, où l’information conditionnante doit être construite par voie d’interprétation.

(34)  Les chats achèteraient Whiskas. (Publicité)

Ce slogan invite à construire un univers où les chats choisiraient et achèteraient eux-mêmes leur nourriture (s’ils en avaient la possibilité, les chats achèteraient Whiskas).

On connaît l’injonction normative condamnant le Conditionnel après si hypothétique. On sait également que cette injonction n’empêche pas que de très nombreux locuteurs utilisent le Conditionnel dans ce type de contexte. Or, cette norme ne concerne en réalité que le Conditionnel conditionnant, comme l’a signalé Clédat (1905 : 238-239). Quand il est de type conditionné, le Conditionnel est normativement accepté après si hypothétique. Dans les exemples ci-après, le segment conditionnant est souligné.

(35)  [À propos du métier d’écrivain] Il ne s’agit pas pour moi d’un métier, même s’il serait doux de pouvoir en vivre. (V. Gault, 2006)

(36)  Que ne fait-elle pas ? Mais son plus beau talent, c’est celui d’entremetteuse. Je veux être foudroyé, si elle n’irait pas remettre une lettre d’amour à la reine, si je l’en priais. (P. Mérimée, 1829)

3.5.4.4. [ultérieur] x [médiatif]

Cette combinaison se présente quand un Conditionnel à valeur d’ultérieur du passé figure dans un contexte de discours ou de pensée rapportés sur le mode indirect, lié (ex. 37) ou libre (ex. 38) :

(37)  Il m’a juré que je n’aurais plus rien à craindre de rien. (S. Chalandon, 2011)

(38)  Ils parlaient de ce qu’ils feraient plus tard, quand ils seraient sortis du collège. D’abord, ils entreprendraient un grand voyage avec l’argent que Frédéric prélèverait sur sa fortune, à sa majorité. Puis ils reviendraient à Paris, ils travailleraient ensemble, ne se quitteraient pas ; et, comme délassement à leurs travaux, ils auraient des amours de princesses dans des boudoirs de satin, ou de fulgurantes orgies avec des courtisanes illustres. Des doutes succédaient à leurs emportements d’espoir. Après des crises de gaieté verbeuse, ils tombaient dans des silences profonds. (G. Flaubert, 1869)

Dans ces textes, les désignations des procès formulées au Conditionnel sont attribuées à un médiateur, dont l’énonciateur se fait le relai : respectivement les individus désignés par « il » et « ils ». Contrairement aux emplois d’ultériorité pure, l’ultériorité signifiée ici est donc « subjective » (cf. Nilsson-Ehle 1943). Le repère r1 est ancré sur le moment où ont été produits les propos ou pensées rapportés.

Dans certains cas, la distinction avec l’ultériorité pure est affaire d’interprétation, les données contextuelles donnant trop peu d’indices et ne permettant pas de trancher entre les deux lectures. Il en va ainsi dans les extraits ci-dessous, dont l’un a déjà été présenté plus haut :

(39)  Le réveil marquait deux heures du matin. Elle remit du bois dans la cuisinière pour donner du thé chaud aux hommes quand ils rentreraient. (J. Meckert, 1947)

(40)  Elle poussa le portail qu’ouvrirait Raymond, dimanche, pour la première fois. (F. Mauriac, 1925, in : Imbs 1960 : 65)

Il n’y a dans ces deux extraits aucune indication de discours rapporté. En revanche, il est bien question, mais indirectement ou allusivement, de pensées ou de représentations, du moins dans le premier exemple. Le fait même de préciser la finalité de l’action consistant à remettre du bois dans la cuisinière est une façon de rapporter une intention. De ce point de vue, cet exemple relève du type médiatif. Mais ce Conditionnel pourrait fort bien être interprété comme entièrement pris en charge par l’énonciateur, par l’instance narratrice ; il appartiendrait alors au type « objectif » (non-médiatif).

Il en va de même dans le second exemple, où l’ouverture future du portail par Raymond peut être interprétée comme une pensée de « elle » au moment où elle pousse le portail. Mais rien n’empêche ici une lecture non-médiative, purement objective de la proposition relative, l’instance narratrice anticipant la suite des événements.

Ce problème se pose a fortiori quand, par le jeu de la 1ère personne, le médiateur et l’instance narratrice sont la « même » personne. Cette situation crée un brouillage des deux lectures objective et subjective du Conditionnel :

(41)  Donc j’optai pour la promenade sylvestre, brouillardeuse et solitaire, et je m’engageai dans la première allée qui se présenta. Je rentrerais dans Paris par la porte Dauphine, où je trouverais aisément un taxi pour me mener chez Laplace ou dans quelque autre restaurant. (H. de Régnier. In : Damourette & Pichon t.5, §1840, p. 417)

Comme précédemment, le Conditionnel de cet exemple peut être interprété, du moins théoriquement, de deux manières :

– soit il relaye les pensées de l’individu en train de programmer sa promenade, auquel cas il combine ultériorité et médiativité ;         
– soit il marque une intervention de l’instance narratrice anticipant sur la suite des événements, auquel cas il est de pure ultériorité.

Le brouillage provient du fait que l’individu en train de programmer sa promenade et l’instance narratrice se confondent dans la même personne. En lecture objective, on imagine un narrateur considérant rétrospectivement sa promenade et qui, avant d’en livrer tel ou tel détail, anticipe sur la façon dont il est rentré à Paris.

En reprenant les deux régimes d’énonciation (récit vs discours) distingués par Benveniste (1959), on pourrait décrire ces interprétations en disant que dans la première, le Conditionnel relève du récit, alors que dans la seconde interprétation, il relève du discours.

3.5.4.5. [médiatif] x [modal]

Il s’agit des cas où le Conditionnel exprime une valeur modale mais dans un contexte où la production de cette signification est attribuée, du moins attribuable, à un médiateur. Compte tenu de l’absence d’ultériorité, r1 est ici sans ancrage temporel. Dans les exemples ci-dessous, le Conditionnel est de type conditionné. L’expression produisant l’information conditionnante est soulignée :

(42)  Frédéric, en se couchant, résuma la soirée. [...] il avait parlé à des hommes considérables, avait vu de près des femmes riches, M. Dambreuse s’était montré excellent et Mme Dambreuse presque engageante. Il pesa un à un ses moindres mots, ses regards [...]. Ce serait crânement beau d’avoir une pareille maîtresse ! (G. Flaubert, 1869)

(43)  – Elle voulait de l’argent, n’est-ce pas ? insiste Charm.   
Ça ne l’étonnerait pas, de la part de sa mère. Silence total, pas même une carte pour son anniversaire, rien. Et brusquement, un beau jour, un coup de fil. (H. Gudenkrauf, 2009, trad. franç.)

3.5.4.6. [ultérieur] x [médiatif] x [modal]

Avec cette configuration, le Conditionnel retrouve un ancrage temporel pour le repère r1. En voici un exemple :

(44)  « Levez-vous ! dit-elle, je le veux ! »     
Et elle lui déclara impérieusement que, s’il n’obéissait pas, il ne la reverrait jamais. (G. Flaubert, 1869)

On s’aperçoit cependant que, dans les cas de ce type, le Conditionnel ne comporte pas obligatoirement un contenu modal. En fait, la formulation (44) a deux interprétations au moins. Elle pourrait également être interprétée comme réalisant non pas la combinaison [ultérieur] x [médiatif] x [modal], mais la combinaison [ultérieur] x [médiatif]. Le Conditionnel peut en effet y transposer l’une ou l’autre des deux formulations-sources suivantes :

(45)  Si tu n’obéis pas, tu ne me reverras jamais.

(46)  Si tu n’obéissais pas, tu ne me reverrais jamais.

Cela tient au fait que la signification modale ou non modale est interne aux propos ou pensées rapportés. Elle est produite par le médiateur, mais le Conditionnel, dans la transposition au discours indirect, neutralise la différence entre (45) et (46) et rend par conséquent inaccessible la façon dont le médiateur a présenté son assertion. Le Conditionnel de (44) n’associe [ultérieur] x [médiatif] x [modal] que si on l’interprète comme transposant (46).

Il ressort de cet examen des principaux emplois le fait suivant. Le Conditionnel ne peut pas combiner ultériorité et modalité seules. Les significations modales ne sont possibles que si r1 est libre de tout ancrage, donc si le temps verbal ne sert pas à signifier l’ultériorité. Mais ce blocage disparaît dès lors que le temps verbal se trouve en contexte de discours ou de pensée rapportés, donc en contexte médiatif. Dans ce contexte, en effet, la médiativité neutralise la modalité en en faisant un fait de pure interprétation, une valeur en quelque sorte facultative.

3.5.5. De l’ultériorité au modal

Y a-t-il une relation entre l’ultériorité et les emplois modaux ? La réponse à cette question nécessiterait des analyses et développements importants, impliquant la diachronie, impossibles dans le cadre de cette notice. On se limitera ici à esquisser quelques éléments de réponse. L’explication qui suit reprend, en les résumant considérablement, les analyses de Gosselin (2001, 2018).

De façon générale, la référence temporelle des temps verbaux de l’indicatif, plus exactement la borne terminale R2 de la référence temporelle, fonctionne comme une coupure modale. Cela signifie que ce qui la précède se situe ipso facto dans le domaine de l’« irrévocable », tandis que ce qui la suit se situe dans le domaine du « possible ». La convention narrative est d’ailleurs une mise en œuvre de ce principe. Le principe même de toute narration consiste en effet à dévoiler des procès passés, donc en principe irrévocables, tout en laissant entendre à chaque moment narratif, et par convention, que ce qui est au-delà de ce moment, sans cesser d’être passé, n’est que possible. – Or, dans le cas du Conditionnel, cette coupure modale n’est pas le fait de R2 mais du repère r1.

Rappelons que le Conditionnel est interprété comme signifiant l’ultériorité du passé quand r1 trouve un ancrage temporel, par exemple via une localisation circonstancielle. Quand il s’agit de discours rapporté sur le mode indirect lié (il a prétendu que...), cet ancrage est donné par la proposition introductrice des propos rapportés : tout ce qui se situe ultérieurement est du domaine du possible. Le procès – plus exactement la référence temporelle – étant localisé comme ultérieur à r1, se trouve donc dans le domaine du possible.

Quand le contexte ne fournit aucune information susceptible de localiser r1, et qu’une interprétation purement médiative est exclue, le Conditionnel est interprété comme modal. Cette absence d’ancrage se répercute nécessairement sur la localisation du procès, puisque la localisation de ce dernier est tributaire de celle de r1. Sans ancrage, c’est par défaut le moment de l’énonciation qui localise le procès (les exemples de Conditionnels purement modaux, ou combinant médiativité et modalité, examinés plus haut peuvent tous être interprétés comme présents). r1 non-ancré n’est alors antérieur au procès que comme conséquence de cette localisation par défaut du procès. Conséquence : le moment de l’énonciation se trouve dans le domaine du possible. Telle est dans les grandes lignes l’explication de Gosselin.

3.5.6. Conditionnel et Passé prospectif

On appelle « Passé prospectif » la périphrase verbale en aller + infinitif, aller étant conjugué à l’Imparfait et ayant un statut d’auxiliaire (type : il allait pleuvoir). Dans ses emplois d’ultérieur du passé, le Conditionnel partage au moins un point avec le Passé prospectif : tous deux servent à localiser un procès comme ultérieur par rapport à un moment situé dans le passé. Reprenons (en les simplifiant un peu) quelques-uns des exemples donnés plus haut pour illustrer l’ultériorité : on s’aperçoit que, dans tous les cas, le Conditionnel peut être remplacé par un Passé prospectif, qui produirait la même signification d’ultériorité :

(47)  Elle remit du bois dans la cuisinière pour donner du thé chaud aux hommes quand ils rentreraient / allaient rentrer.

(48)  En fait, tout l’appartement avait été réorganisé – il l’apprendrait / allait l’apprendre plus tard – avec la complicité de sa mère [...].

(49)  Non, il ne prenait pas le train de Cologne, mais celui d’Augsbourg, correspondance pour Immenstadt, arrivée prévue à six heures du soir. Où l’attendrait / allait l’attendre Grete.

(50)  Il avait décidé qu’il ferait / allait faire un jour un beau mariage, et dans sa tête il était arrêté qu’il épouserait / allait épouser une des héritières de la chocolaterie.

(51)  Les seuls héritiers, c’étaient ses parents qui mourraient / allaient mourir bientôt.

(52)  Ils parlaient de ce qu’ils feraient plus tard, quand ils seraient sortis du collège. D’abord, ils entreprendraient / allaient entreprendre un grand voyage avec l’argent que Frédéric prélèverait / allait prélever sur sa fortune, à sa majorité. Puis ils reviendraient / allaient revenir à Paris, ils travailleraient / allaient travailler ensemble, ne se quitteraient pas / n’allaient pas se quitter ; et, comme délassement à leurs travaux, ils auraient / allaient avoir des amours de princesses.

Dans les exemples ne comportant pas la dimension d’ultériorité, cette substitution est impossible ou changerait complètement la signification de l’énoncé. À cela, une seule exception : elle concerne les cas où un emploi purement modal est interprété comme performatif ex-post (« pré-ludique »). La substitution est alors possible, du moins avec certains verbes, et la performativité est maintenue. C’est ici l’Imparfait du verbe aller qui fonctionne performativement :

(53)  Toi, tu serais / allais être très malade, et tu aurais / allais avoir très peur, alors moi, je te soignerais / allais te soigner et je te sauverais / allais te sauver. Ou, si tu préfères, ce serait / ça allait être la guerre, et toi tu serais / allais être blessé très gravement [...].

Cependant, tandis que dans les exemples (47)-(52), la signification produite par les deux temps verbaux est pratiquement la même [Note 95] , elle est différente dans (53). La différence concerne l’aspect. Les Passés prospectifs de (47)-(52) réfèrent à la phase processive ; c’est l’une des raisons pour lesquelles ils commutent avec des Conditionnels. Mais les Passés prospectifs de (53) – du moins certains d’entre eux – réfèrent à la phase pré-processive. En d’autres termes, l’élément qui précède le procès proprement dit n’est pas de même nature dans les deux cas. Dans le cas du Conditionnel, c’est le repère r1, site temporel supposé connu et servant à localiser le procès ; dans le cas du Passé prospectif, c’est la phase pré-processive. Le Passé prospectif peut être utilisé pour référer spécifiquement à cette phase, tandis que le Conditionnel est inapte à référer à r1.

Ainsi, certains Passés prospectifs de (53) pourraient être interprétés comme désignant la phase pré-processive : tu allais être très malade pourrait être interprété comme signifiant ‘tu étais sur le point d’être très malade’, et ça allait être la guerre comme signifiant ‘la guerre était proche’ ; une telle interprétation est évidemment impossible avec le Conditionnel [Note 96].

3.5.7. Références bibliographiques

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Langue française 200, 2018 : Du conditionnel (J. Bres, éd.)

 


5. En guise de conclusion


En guise de conclusion, on reviendra sur un point qui, rétrospectivement, apparaît récurrent dans cette présentation des temps du français : la question de savoir ce que modifient les grammèmes des temps verbaux, de déterminer ce sur quoi ils font porter les informations aspectuo-temporelles qui constituent leur signifié.

Formellement, un grammème de temps verbal peut être analysé comme un opérateur dont l’opérande est un lexème verbal. La valeur aspectuo-temporelle produite est alors le résultat de l’opération consistant à appliquer le grammème-opérateur au lexème-opérande. De fait, cette conception est sanctionnée par la définition qu’on donne habituellement de la fonction des temps verbaux, et que résume l’énoncé suivant : un temps verbal a pour fonction de localiser dans le temps le procès signifié par le verbe, et de donner une certaine représentation de la temporalité interne de ce procès. La première partie de cet énoncé rend compte de la fonction de localisation temporelle, la seconde de l’aspect.

Cependant, s’il est peu contestable que le verbe soit, au plan formel (morphologique), ce sur quoi opère le grammème, il est loin d’être évident qu’il en aille toujours de même au plan sémantique. Nous avons en effet observé, parmi la multiplicité des emplois et des effets sémantiques rencontrés, un assez grand nombre de faits qui ne peuvent s’expliquer que si l’on considère que le lexème verbal n’est parfois qu’un élément de la portée du grammème, et que la délimitation de cette portée est, en partie au moins, affaire de construction interprétative. Ce constat concerne non seulement quelques faits plus ou moins contingents, mais également et surtout certains emplois fortement grammaticalisés. Rappelons quelques cas particulièrement illustratifs de ce constat.

Considérer que la portée des grammèmes est un construit interprétatif permet d’apporter une explication particulièrement éclairante à certains emplois des temps imperfectifs ou pouvant avoir une interprétation imperfective. Il en va ainsi des emplois « habituels » du Présent, de l’Imparfait et du Futur (§ 3.1.3.3., § 3.2.3.2., § 3.3.2.2.). Les paramètres aspectuo-temporels caractérisant le temps verbal opèrent alors sur un verbe dénotant non pas un procès singulier, mais plusieurs occurrences de ce procès, ou plusieurs occurrences d’une séquence de procès. L’habitualité apparaît alors comme un rendement parmi d’autres de l’imperfectivité. La notion de portée permet également d’apporter une solution au problème des Imparfaits dits « narratifs » (§ 3.2.3.3.), qui ont donné beaucoup de fil à retordre aux aspectologues (qui sont parfois allés jusqu’à concevoir un Imparfait perfectif pour en rendre compte). Nous avons vu également que certains emplois ne s’expliquent que si l’on considère que le grammème de temps verbal porte sélectivement sur la validité du procès, ce qui conduit à dissocier le moment du procès proprement dit et le moment de sa validation. Cette dissociation permet de rendre compte de certains Présents à valeur de futur (§ 3.1.4.4.), d’emplois apparemment paradoxaux du Futur antérieur et des phénomènes modaux qui leurs sont associés (§ 4.5.6.3.). C’est encore une analyse de la portée des grammèmes des temps verbaux qui permet de mettre en évidence le phénomène de « mise en facteur commun », dans lequel une séquence formée de plusieurs verbes est traitée comme un macro-procès (§ 4.3.5.1.).

Tous ces faits, associés à d’autres mécanismes sémantiques, comme ceux décrits au § 2.5. – l’interaction entre les propriétés aspectuelles du lexème verbal et celles du grammème, la transposition temporelle, l’absence d’ancrage contextuel d’un paramètre du temps verbal –, permettent de comprendre la très grande majorité des phénomènes sémantiques produits par les temps verbaux.

 


6. Bibliographie



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6.3. Numéros de revues consacrés à l’aspectologie et la sémantique verbale

Bibliothèque des Cahiers de l’Institut de linguistique de Louvain         
– no 99, 1998 : Temps et discours (Sv. Vogeleer, A. Borillo, C. Vetters & M. Vuillaume, éds)

Cahiers Chronos         
Depuis 1996. Catalogués parfois comme revue, parfois comme série. Tous les numéros sont consacrés à la sémantique verbale et temporelle. Editeurs : Amsterdam : Rodopi. A partir de 2016 : Leiden/Boston: Brill.    
– Liste des numéros parus et tables des matières consultables sur le site internet : https://brill.com/view/serial/CCHR

Cahiers de linguistique française         
– no 25, 2003 : Temporalité et causalité (J. Moeschler, éd.)

Cahiers de praxématique         
– no 19, 1992 : Le passé composé         
– no 29, 1997 : Le système verbal selon G. Guillaume : lectures critiques           
– no 32, 1999 : L’imparfait dit narratif. Langue, discours (J. Bres, éd.)  
– no 47, 2006 : Aspectualité, temporalité, modalité (J. Bres & A. Patard, éds)     
– no 65, 2015 : Les périphrases verbales dans les langues romanes (S. Azzopardi & S. Sarrazin, éds)

Canadian Journal of Linguistics / Revue canadienne de linguistique   
– no 61/3, 2016 : Future temporal reference in French / La référence temporelle au futur en français

DRLAV (Documentation et Recherche en Linguistique Allemande – Vincennes)         
– no 16, 1978 : Quelques aspects de l’aspect (D. Clément & B.-N. Grünig, éds)

Études cognitives – Studia kognitywne 
– no 2, 1997 : Sémantique des catégories de l’aspect et du temps
– no 3, 1999 : Quantification, temps, aspect      
– no 4, 2001 : Sémantique des catégories de l’aspect et du temps
– no 5, 2003 : Sémantique des catégories de l’aspect et du temps

Faits de langue
– no 33, 2009 : Le futur (C. Chauvin, L. Danon-Boileau, C. Delmas, R. Mir-Samii, M.-A. Morel & I. Tamba, éds)     
– no 40, 2012 : Ultériorité dans le passé, valeurs modales, conditionnel (J. Bres, S. Azzopardi & S. Sarrazin, éds)

Le français aujourd’hui          
– no 139, 2002 : Les verbes : de la phrase au discours (J. David & E. Laborde-Milaa, éds)

L’Information grammaticale   
– no 38, 1988 : Temps verbaux et temporalité

Journal of French Language Studies  
– no 25/2, 2015 : Les marqueurs de temps, aspect et modalité en diachronie (W. De Mulder & A. Patard, éds)

Langages        
– no 64, 1981 : Le temps grammatical (R. Martin & F. Nef, éds)
– no 112, 1993 : Temps, référence et inférence (J. Moeschler, éd.)         
– no 135, 1999 : Les auxiliaires : délimitation, grammaticalisation et analyse (H. Bat-Zeev Shyldkrot, éd.)     
– no 149, 2003 : Participe présent et gérondif (T. Arnavielle, éd.)

Langue française        
– no 67, 1985: La pragmatique des temps verbaux (C. Vet, éd.) 
– no 97, 1993: Temps et discours, étude de psychologie du langage (J.-P. Bronckart, éd.).
– no 100, 1993: Temps et aspect dans la langue française (J. Guéron, éd.)
– no 138, 2003: Temps et co(n)texte (J. Bres, éd.)          
– no 153, 2007 : Le classement syntactico-sémantique des verbes français (J. François, D. Le Pesant & D. Leeman, éds)          
– no 173, 2012 : Modalité et évidentialité en français (C. Barbet & L. de Saussure, éds) 
– no 200, 2018: Du conditionnel (J. Bres, éd.)   
– no 201, 2019: Le futur antérieur (L. Abouda & D.T. Do-Hurinville, éds)
– no 213, 2022: Les périphrases verbales: de la morphosyntaxe à la sémantique (L. Gosselin & T. Bertin, éds)

Lexique    
– no 22, 2015 : Aspectualité et modalité lexicales (T. Milliaressi & S. Vogeleer, éds).

Linx    
– no 77, 2018 : Regards croisés sur le futur en français et dans différentes langues romanes (S. Azzopardi & E. Oppermann-Marsaux, éds)

Pratiques        
– no 100, 1998 : Les temps verbaux

Recherches linguistiques         
– no 5, 1980 : La notion d’aspect (J. David, R. Martin, éds)       
– no 25, 2001 : Le conditionnel en français (P. Dendale & L. Tasmowski, éds)

Revue de sémantique et de pragmatique          
– no 38, 2015 : Le futur (L. Abouda & S. Azzopardi, éds)

Syntaxe et sémantique 
– no 16, 2015 : La catégorie TAM (temporalité – aspectualité – modalité) en français et à travers les langues (T. Ruchot, éd.)           
– no 19, 2018 : La grammaticalisation des périphrases en aller et venir dans les langues romanes (E. Labeau & J. Bres, éds)

Travaux de linguistique           
– no 19, 1989 : Généricité, spécificité et aspect (M. Wilmet, éd.)
– no 39, 1999 : Temps verbaux et relations discursives (W. De Mulder & C. Vet, éds)    
– no 40, 2000 : Le présent (C. Benninger, A. Carlier & V. Lagae, éds)

Travaux neuchâtelois de linguistique (TRANEL)         
– no 45, 2006 : Temps, description et interprétation (L. de Saussure & P. Morency, éds) 
– no 51, 2009 : Temps, discours, argumentation (P. Morency, éd.)

Verbum           
– no 16/4, 1993 : Les aspects dans le discours narratif, I (J. François, éd.)         
– no 17/1, 1994 : Les aspects dans le discours narratif, II (J. François, éd.)        
– no 22/3, 2000 : Autour du futur (C. Benninger, V. Lagae & A. Carlier, éds)     
– no 23/4, 2001 : Sémantique des verbes. Nouvelles approches (J.-E. Tyvaert, éd.)         
– no 29/1-2, 2007 : Verbes et classes sémantiques (A. Grezka & F. Martin-Berthet, éds) 
– no 30/2-3, 2008 : Regards croisés sur l’aspect (D. Apothéloz, M. Nowakowska, éds)   
– no 39/1, 2017 : Quand les temps verbaux font système (D. Apothéloz & C. Vetters, éds)

 


Notes


[1]     Je remercie Alain Berrendonner, Jacques Bres, Gilles Corminboeuf, Laurent Gosselin et Małgorzata Nowakowska pour leurs utiles remarques sur des versions antérieures de l’ensemble ou de parties de ce travail.

[2]     On qualifie de « liés » les morphèmes qui doivent être associés à un autre morphème pour constituer un mot.

[3]     Vendler (1957) appelait « schéma temporel » (temporal schemata) les propriétés aspectuo-temporelles des lexèmes verbaux. L’expression qui est le plus fréquemment employée de nos jours est celle d’« aspect lexical » (lexical aspect) proposée par Garey (1957), qu’il oppose à l’aspect grammatical.

[4]     La question peut se poser ensuite de déterminer si le morphème de Conditionnel est lui-même décomposable. Voir infra la section consacrée à ce temps verbal.

[5]     Pour des raisons de compatibilité avec la plupart des publications dans ce domaine, il est commode de conserver les symboles S, E et R introduits par Reichenbach, utilisés aujourd’hui encore par de nombreux auteurs, en dépit du fait qu’ils correspondent à des dénomination anglaises. A noter que Reichenbach concevait ces trois paramètres comme des points, ce qui est contre-intuitif et pose de multiples difficultés. On doit à Klein (1994) et à Gosselin (1996) d’avoir montré l’intérêt de les considérer comme des intervalles.

[6]     Les linguistes sont loin de s’accorder sur le fait de considérer S comme un intervalle ou comme un point dépourvu de durée. Cela tient au fait que l’énonciation se comporte, vis-à-vis des opérations de localisation temporelle, de façon paradoxale, notamment quand le Présent est utilisé pour référer à S. D’une part, quand on produit ce type de Présent – par exemple quand on répond je travaille à quelqu’un qui vous demande ce que vous faites présentement –, S peut difficilement se concevoir sans une certaine durée : je travaille équivaut à peu près, dans ce contexte, à je suis en train de travailler. Mais d’autre part, ce même exemple montre que, vis-à-vis de ce qu’il est possible d’asserter concernant S, S se comporte comme un espace indécomposable. Il n’est en effet pas possible, dans une même opération de localisation, d’asserter qu’un procès advient dans une portion de S et n’advient pas dans une autre ; c’est tout ou rien. A cet égard S se comporte comme un point. Mais ce terme de point, usé et abusé depuis l’article de Reichenbach, est extrêmement trompeur. L’indécomposabilité de S n’implique pas l’absence de temporalité interne, et n’est nullement incompatible avec la durée. C’est la raison pour laquelle nous traiterons ici S comme un intervalle.

[7]     Comme plusieurs auteurs l’ont noté, l’usage que fait Reichenbach (1947) du terme de « référence » est peu clair, et a donné lieu à divers malentendus, qui passent d’ailleurs souvent inaperçus. Certains commentateurs ou continuateurs l’ont interprété comme signifiant en fait « repère », c’est-à-dire ce que Beauzée appelait « époque de comparaison ». Mais d’autres l’ont interprété à la manière des sémantiques de la référence telle qu’elles ont été élaborées à la suite de Frege (1892/1971) (voir à ce propos Apothéloz 2017). Nous interprétons ici ce terme de cette seconde manière. Autrement dit, nous considérons que les formes verbales conjuguées réfèrent à une portion de temps. C’est également la perspective qu’adopte Gosselin, qui considère que l’intervalle de référence correspond « à ce qui est perçu / montré du procès » (2005 : 33). Cet auteur distingue ainsi monstration (R) et catégorisation (E).

[8]     Certains modèles font l’économie de cette distinction et ne prennent en considération que la référence. Ainsi, dans sa conception topologique des intervalles temporels, J.-P. Desclés distingue entre borne ouverte et borne fermée (cf. Desclés 1991, De Glas & Desclés 1996). Un temps verbal perfectif est alors représenté par des bornes fermées, soit graphiquement ‘[––]’, et un temps imperfectif est représenté par une borne ouverte à droite, la borne gauche étant ouverte s’il s’agit d’un état, fermée s’il s’agit d’un processus, soit : ‘]––[’ ou ‘[––[’.

[9]     Voir ce passage du Cours de F. de Saussure : « le perfectif représente l’action dans sa totalité, comme un point, en dehors de tout devenir ; l’imperfectif la montre en train de se faire, et sur la ligne du temps » (1972 : 161-162). Sur cette notion de « point », voir Leeman (2003).

[10]   Par ex. L. de Saussure (2003 : 222), qui y voit une propriété par défaut.

[11]   Le type de relation qui oppose perfectivité et imperfectivité a lui-même donné lieu à diverses discussions. R. Jakobson, par exemple, considérait qu’il s’agit d’une opposition privative (au sens de Troubetzkoy 1949), l’imperfectivité étant le terme non-marqué de l’opposition. La conséquence est alors que : The perfective aspect presents the narrated event with reference to its absolute completion, whereas the imperfective aspect is non-committal in regard to completion or noncompletion. (In : Jakobson 1984 : p. 27, nos caractères gras). Mais cette conception, qui s’applique aux langues slaves, où les formes verbales imperfectives ont des emplois correspondant effectivement à la description de Jakobson, ne nous semble pas convenir dans le cas du français. En français, l’opposition imperfectif vs perfectif paraît plutôt fonctionner comme une opposition équipollente. Incidemment, cette remarque montre à quels genres de difficultés on s’expose quand on transfère des concepts d’une langue à une autre.

[12]   Sur cette terminologie, voir Vetters (1996 : 44 et suiv.).

[13]   Beauzée (1765) appelait « époque de comparaison » cette autre information temporelle.

[14]   À la suite de Comrie (1985), on qualifie parfois ce type de temps verbal d’« absolu-relatif ».

[15]   On a donné le nom de « changements de repérage énonciatif » à ces manipulations. Ce terme n’est toutefois pas limité au temps et inclut également les transpositions qui concernent les catégories de la personne et du lieu (déixis de la personne et déixis spatiale).

[16]   Sur cette matière, voir également la notice de L. Gosselin sur L’Aspect verbal. Pour une revue des travaux consacrés aux typologies de procès, voir Gosselin & François (1991).

[17]   Quand ce type d’expression porte sur un verbe non duratif ou non transitionnel, la forme verbale sélectionne la phase préparatoire : il est arrivé en cinq minutes ≈ ‘il est arrivé au bout de cinq minutes’.

[18]   Verbes qualifiés parfois également de semelfactifs.

[19]   Autres appellations : degree achievements (Dowty 1979), verbes de complétion graduelle (Bertinetto & Squartini 1995), verbes paramétriques (Laskowski 1998), verbes cumulatifs (Desclés & Guentchéva 2003). Pour distinguer des verbes comme grandir et rapetisser, on oppose parfois encore les verbes incrémentatifs et décrémentatifs.

[20]   Le terme même de « combinaison », utilisé ici par pure commodité, mériterait à lui seul toute une réflexion.

[21]   La distinction entre signification « de base » et emplois est souvent parasitée par deux types de considérations, dont il faudrait au contraire la dissocier : considérations diachroniques (la signification « de base » étant alors considérée comme antérieure donc première), et quantitatives (la signification « de base » étant supposée plus fréquente que les emplois).

[22]   Le lecteur trouvera un cadrage général de cette problématique dans Gosselin (2005 : 103-127).

[23]   Pour cette raison, le phénomène est décrit parfois comme le résultat d’une opération de coercion (De Swart 1995).

[24]    V. Traverso : L’analyse des conversations. Paris : A. Colin, 1999. Les séquences entre parenthèses carrées indiquent un chevauchement. Le signe ‘:’ signale un allongement vocalique, ‘(.)’ un court silence.

[25]   On pourrait dire également que l’Imparfait, compte tenu du contexte indiqué plus haut, contraint à construire par interprétation une telle séquence.

[26]   Cette hypothèse est l’aboutissement d’une inférence abductive du type : « l’absence du portefeuille dans la poche de x pourrait être expliquée par son oubli par ; donc il est probable que x a oublié son portefeuille chez lui ».

[27]   Firth (1957) appelait « colligations » ces formes diffuses de collocations, mais les textes de cet auteur sont d’interprétation apparemment difficile. Sur ce point, voir Legallois (2012). Beaucoup d’auteurs utiliseraient ici le terme de « construction », mais cet usage, qui tend aujourd’hui à s’imposer, est assez gênant dans la mesure où il prive en même temps le linguiste d’un terme permettant de désigner des construits non phraséologiques et à sens compositionnel.

[28]   C’est précisément là que s’arrêtent malheureusement les explications qui ont recours à des notions comme celles de coercion ou de résolution de conflit.

[29]   Le statut quelque peu hybride du point S de Reichenbach, représentant à la fois l’énonciation et son utilisation comme repère, a été critiqué par plusieurs auteurs, parmi lesquels le logicien Prior (1967) (qui interprétait R comme un repère), ainsi que Vet (1980).

[30]   Sauf dans les énoncés performatifs (voir plus loin). Cette incompatibilité entre la perfectivité et le Présent employé déictiquement a été décrite par Koschmieder (1929 : 24). Sur ce point ses analyses, bien que concernant certaines langues slaves, sont largement valables également pour le français. Dans les langues slaves concernées, les formes associant un grammème de Présent et un grammème de perfectivité signifient, de fait, le futur.

[31]   Quand l’intervalle R est spécifié, R peut déborder de S. On a alors la relation S⊂R. Cf. ex. (5) infra.

[32]   Koschmieder et Garey ont donc vu la spécificité de ces usages du Présent bien avant la publication des célèbres conférences de J.L. Austin dans How to do Things with Words (1962).

[33]   Voir à ce propos Berrendonner (1981 : 98), à qui l’exemple (7b) est emprunté.

[34]   Un exemple d’exploitation littéraire de ce type de relation temporelle entre le discours et les événements décrits est le texte de Georges Perec, Tentative d’épuisement d’un lieu parisien (1975).

[35]   Il y aurait d’ailleurs contradiction à décrire une séquence habituelle de procès, comme dans (9), sans présupposer que chacun d’eux est allé jusqu’à son terme, donc est représenté de façon perfective.

[36]   Notre analyse s’inspire ici de Vetters (1996 : 118) et de Gosselin (1999a, 2020b).

[37]   Cet auteur distingue itérativité, répétitivité, fréquentativité et habitualité.

[38]   Pour Imbs (1960 : 29), le Présent omnitemporel « n’est pas autre chose qu’un Présent actuel universalisé par un effort d’imagination ».

[39]   Cette opération est décrite par Wilmet (1997) comme une dissociation du repère d’actualité (notre r0) et du moment d’énonciation. D’autres l’analysent comme un déplacement ou une duplication du moment d’énonciation (Maingueneau 1994, Gosselin 1996) ; d’autres encore, comme une présentation du procès comme s’il se déroulait au moment de l’énonciation (Riegel et al. 2009). Notre description va à l’encontre de ces analyses. Avec le Présent narratif, ni le procès ni l’énonciation ne sont déplacés. Dans le modèle adopté ici, ce n’est pas S qui règle l’emploi des temps verbaux, mais r0. Sur ce point notre analyse rejoint celle de Wilmet.

[40]   R. Martin (1971 : 175 et suiv.), décrivant des phénomènes analogues dans l’histoire du Passé simple, parle de « compensation de l’aspect par la modalité d’action » (ce dernier terme désignant chez cet auteur l’aspect lexical).

[41]   Ou alors, il la transformerait en une forme imperfective. C’est ce qui se passerait si l’on avait dans cet exemple, plutôt que je lui demande ce qui ne va pas, une formulation comme : je lui demande depuis un bon moment ce qui ne va pas.

[42]   Ces Présents peuvent alterner avec des Passés composés, mais ceux-ci sont alors résultatifs, donc ont pratiquement une valeur de présent (voir plus loin). Sur le Présent dans les résumés, voir également les observations de Weinrich (1973 : 265).

[43]   R. Martin (1985) décrit cet emploi du Présent comme un emploi de dicto, par opposition aux emplois de re.

[44]   Voir toutefois Laca (2005 : 55) qui, s’appuyant sur les Imparfaits narratifs et modaux, considère que ce temps verbal « exhibe l’ambivalence caractéristique d’un “temps sans aspect” ».

[45]   Voir les commentaires et prolongements apportés par Anscombre (1992) à l’article de Ducrot, qui prennent également en considération le Passé composé.

[46]   Cette propriété a conduit certains linguistes à voir dans l’Imparfait un temps verbal anaphorique, autrement dit un temps qui requiert un « antécédent » sous la forme d’un intervalle temporel (Tasmowski 1985, Houweling 1986). Cet antécédent est bien évidemment à concevoir comme une représentation, un fait de « mémoire discursive » et non comme l’occurrence nécessaire d’une expression particulière. Il n’est pas possible d’aborder cette question ici. Le lecteur trouvera diverses analyses et prises de positions dans les publications suivantes : Tasmowski (1985), Świątkowska (1988), Kleiber (1993, 2003), Berthonneau & Kleiber (1993, 1999), Vetters (1993b), Molendijk (1996), Keromnes (1998), Vet (1996, 1999), Gosselin (2005 : 150-153), Bres (2007), Apothéloz (2021). Le no 1 des Cahiers Chronos (1996) est entièrement dédié à la question de l’anaphore et des temps verbaux. On attribue à McCawley (1971) et Partee (1973, 1984) les premières tentatives d’étendre aux temps verbaux la notion d’anaphore en établissant un parallélisme avec le fonctionnement des pronoms. Mais en réalité le caractère anaphorique des temps verbaux, du moins de certains d’entre eux, avait déjà été très bien décrit au xviiie s. par l’abbé Girard (1747) (cf. supra § 2.3.5.).

[47]  « [...] a situation can be referred to by a habitual form without there being any iterativity at all » (Comrie 1976 : 27).

[48]   Voir Gosselin (1996) pour d’autres contraintes ou conflits pouvant induire une interprétation habituelle.

[49]   Le no 32 des Cahiers de praxématique (1999) y est entièrement consacré.

[50]   Les différents procès constituant la séquence « forment les étapes d’un procès global présenté dans son déroulement » (Gosselin 1999a : 35). Anscombre (1992 : 47), dans une brève notation, fait le même genre d’analyse et parle d’imparfait « en facteur commun ».

[51]   « Élaboration » au sens de la théorie des relations de discours (par ex. Mann & Thompson 1988).

[52]   Cet emploi concerne également le Plus-que-parfait. Dans un cadre explicatif différent, d’autres travaux ont associé l’Imparfait de rupture à l’ellipse narrative : par ex. Vetters (2003), Vetters & De Mulder (2003), Vetters (2017). Une explication un peu différente est celle proposée par Desclés (2003, 2017). Selon cet auteur, l’Imparfait de rupture, qu’il nomme « de nouvel état », désigne à la fois le procès signifié par le lexème verbal et un état ultérieur engendré par l’advenue de ce procès. Cet Imparfait mettrait donc en opposition, dans le cours narratif, un avant-procès et un après-procès, tout en focalisant l’attention sur l’après-procès. La notion d’ellipse n’est pas évoquée par cet auteur ; pourtant, la description qu’il donne des effets discursifs de cet Imparfait implique bien un phénomène analogue à l’ellipse, dans la mesure où le temps verbal induit interprétativement la construction d’un après-procès totalement implicite.

[53]   Sur la médiativité, voir Guentchéva (1994, 1996), Lazard (1999), Anscombre et al. (éds, 2014). La notion de médiativité est utilisée, en linguistique générale, pour désigner toute catégorie grammaticale associée spécifiquement à la signification décrite ci-dessus. Nous en faisons ici un usage plus étendu, pour décrire l’effet de certains contextes sur l’interprétation des temps verbaux, étant entendu que ces derniers ne sont pas intrinsèquement médiatifs en français (quoique ce point ait été discuté pour le Conditionnel).

[54]   Il s’agit pourtant d’une catégorie récente de l’analyse linguistique, dont l’élaboration a été relativement longue et semée d’hésitations. Voir la très intéressante étude historique que lui ont consacrée Philippe & Zufferey (2018).

[55]   C’est pourquoi nous préférons utiliser des termes généraux comme « instance », « médiatif » et « médiateur », plutôt que d’avoir recours au vocabulaire de la linguistique de l’énonciation, comme le font par exemple Azzopardi & Bres (2011). Un qualificatif parfois également utilisé pour rendre compte de ces emplois est celui de « perspectif » (Imbs 1960). L’instance que nous nommons « médiateur » est appelée « sujet de conscience » (subject-of-consciousness) par Banfield (1973, 1982). Une autre manière encore d’aborder ces phénomènes est celle qui s’inspire de l’appareil conceptuel de Sperber & Wilson (1989 : 343). Ces auteurs distinguent deux types d’emplois des énoncés : les emplois « descriptifs » et les emplois « interprétatifs ». Tandis que les énoncés employés descriptivement expriment une représentation, les énoncés employés interprétativement expriment une représentation de représentation (une méta-représentation). Tel est le cas des énoncés à l’Imparfait dans l’exemple de Zola. Pour une application de ce cadre conceptuel à l’étude des temps verbaux, voir par exemple de Saussure & Sthioul (1999) et de Saussure (2003, 2010).

[56]   À noter également ici la présence de l’adverbe demain, qui rapproche cet exemple de ce que nous avons observé concernant le Présent futural (§ 3.1.4.3.).

[57]   Nous retrouverons ces mêmes valeurs modales avec le Conditionnel (§ 3.5.4.5.). Sur l’Imparfait et le Conditionnel dans les constructions hypothétiques, voir notamment Gosselin (1999b). Pour une étude récente sur l’Imparfait contrefactuel, voir Kronning (à par.).

[58]   Sur cet emploi de l’Imparfait, voir Warnant (1966), à qui l’on doit, selon Patard, cette appellation, ainsi que Schena (1995) et Patard (2010).

[59]   Sur les liens entre perfectivité et inchoativité, voir § supra 2.3.4.

[60]   Il n’existe à notre connaissance aucune étude sur cet emploi du Futur.

[61]   La notion de « fait » est développée dans la notice sur les temps composés, § 4.2.8. et 4.2.9. Les Passés composés de ce texte sont factuels, et non pas narratifs.

[62]   Aristote, Chap. 9 de De l’interprétation. Cette position est souvent évoquée pour indiquer que le présent opère une « coupure modale ».

[63]   L’étude du fonctionnement des temps verbaux du futur dans différentes langues montre que certaines d’entre elles dissocient le temps verbal de toute expression modale, tandis que d’autres y associent grammaticalement une modalité. On pourrait dire de ces dernières qu’elles grammaticalisent l’analyse aristotélicienne du futur. Voir sur ce point Palmer (1999a,b). Pour une analyse pragmatique de ce problème, voir également Álvarez Castro (2010).

[64]   L’expression est de Weinrich (1973 : 74).

[65]   Cet emploi est appelé « typicalisation » par Abouda & Skrovec (2015).

[66]   La 402 : Peugeot 402. – Le Normandie est un paquebot mis en service au milieu des années 1930. – Le Laté 28 (abrév. de Latécoère 28) est un modèle d’avion célèbre à l’époque de l’Aéropostale, dans les années 1930.

[67]   Position qui, sans faire l’unanimité, est soutenue par la majorité des chercheurs. Voir par ex. Benveniste (1959), Imbs (1960), Wilmet (1992), Maingueneau (1994), Revaz (1996), Barceló & Bres (2006), Barbazan (2007), Riegel et al. (2009), Bres (2010).

[68]   Dans le cadre conceptuel et terminologique développé par Desclés, le Passé simple renvoie à un autre « référentiel » que celui de l’énonciation.

[69]   Mêmes observations, à partir de relevés quantitatifs, chez Klum (1961), selon Rebotier (2010).

[70]   Nous avons nous-même entendu, lors d’un récent colloque de linguistique, un conférencier qui, voulant improviser des exemples d’énoncés narratifs, a produit à deux reprises la forme il sorta.

[71]   Le paradigme des verbes du 1er groupe, lexicalement ouvert et seul paradigme véritablement productif, représente environ 90% des lexèmes verbaux. Cependant les verbes les plus fréquents, comme être, avoir, faire, aller, dire, n’appartiennent pas à ce paradigme mais à celui du 3e groupe (cf. Riegel et al., 2009, p. 468).

[72]   Une synchronie est un état de la langue à un moment donné de son histoire.

[73]   Plusieurs de ces verbes sont mentionnés par Zezula (1969) dans une étude sur les temps verbaux dans la presse française à la fin des années 1960. Cet auteur a également noté, dans ce même corpus, que 93.3% des Passés simples concernent la 3e pers. (sing. et pl.). Son étude portait sur 105 numéros de journaux (80 de quotidiens, 25 de revues ou hebdomadaires), totalisant 3391 pages (nombre de mots non indiqué) et 5245 formes du Passé simple.

[74]   Extrait de L’Étranger, roman qui, à l’époque de sa parution (1942), a frappé ses premiers lecteurs par l’usage systématique du Passé composé comme temps de la narration.

[75]   Sur la concurrence entre fut et a été, voir Engel (1989).

[76]   Pour une synthèse sur le Passé simple, son histoire, sa concurrence avec le Passé composé, son statut en français contemporain et les diverses discussions et polémiques auxquelles ce statut a donné lieu, voir Labeau (2015).

[77]   Diverses hypothèses ont été proposées pour expliquer cette interprétation, sur lesquelles il n’est pas possible de s’étendre ici. Voir par ex. Guenthner, Hoepelman & Rohrer (1978), Vetters (1996), Bres (1998, 2005), Ciszewska (2004), Karolak (2008b). Ce phénomène a également été décrit comme un type de coercion (De Swart 1998).

[78]   Weinrich (1973) appelle ces deux temporalités « temps de l’action » et « temps du texte ».

[79]   Cette notion, essentielle pour les temps composés, est développée plus loin dans la section consacrée au Passé composé, § 4.2.9.

[80]   Ouvrage de protection contre l’artillerie et les balles, fait d’un panier d’osier rempli de terre ou de gravats.

[81]   D’un point de vue strictement formel, le Futur et le Conditionnel français ont pour origine une périphrase latine formée de l’Infinitif du verbe lexical suivi du verbe avoir (habēre) fléchi au Présent (origine du Futur) ou à l’Imparfait (origine du Conditionnel). Soit : legere habeo (littéralement ‘j’ai à lire’) et legere habebam (‘j’avais à lire’). Ces périphrases sont apparues au iie siècle apr. J.-C., pour pallier les nombreuses homonymies avec d’autres temps verbaux que présentaient les formes synthétiques antérieures suite à diverses modifications phonologiques (Brunot & Bruneau 1949, Benveniste 1968).

[82]   Ces segmentations morphologiques sont forcément contestables. Elles découlent mécaniquement de la soustraction du flexif [ʁɛ] que l’on s’accorde généralement à considérer comme marqueur du Conditionnel aux personnes 1-2-3-6. Mais ces problèmes de segmentation n’invalident en rien le fait que certains verbes à allomorphie utilisent l’un de leurs allomorphes seulement pour ces deux temps verbaux.

[83]   On rencontre parfois également l’expression de « postériorité dans le passé » ou encore de « futur dans le (ou du) passé » – cette dernière appellation confondant déixis et anaphore.

[84]   Pour une rapide synthèse des différentes approches et analyses, voir par ex. Dendale (2001), Patard (2017), Bres (2018).

[85]   Par exemple, Vetters (2001 2017), qui analyse l’Imparfait comme un temps de l’inactualité plutôt que du passé, voit logiquement dans le Conditionnel un « ultérieur du non-actuel ». Cependant, la notion d’inactualité n’étant pas temporelle, on peine à comprendre à quoi peut correspondre son « ultériorité ».

[86]   Le Conditionnel partage avec le Futur antérieur cette non-assignation du procès à une époque particulière.

[87]   Ce repère étant généralement fourni, quand le Conditionnel est temporel, par un autre procès. Gosselin (2001) le décrit comme un intervalle. Par ailleurs, certains travaux se situant dans la perspective de la linguistique de l’énonciation (approche polyphonique ou dialogique) associent ce repère à un second énonciateur et donc un autre acte énonciatif : par ex. Haillet (2002), Bres (2009), Bres & Azzopardi (2017).

[88]   Cependant, quand la source est indiquée, celle-ci étant nécessairement antérieure à sa citation, on peut considérer avec Gosselin (2001) que le repère est alors ancré sur le moment où cette source s’est exprimée.

[89]   Ou d’« altérité énonciative » (Haillet 1998, 2002), de « désengagement » (Provôt & Desclés 2012). Certains auteurs, comme Abouda (2001), Haillet (1998, 2002) ou Celle (2007) considèrent que la suspension de la prise en charge est première, et la médiativité l’une de ses conséquences.

[90]   Le qualificatif d’évidentiel (angl. evidential) a été utilisé pour la première fois par Boas et al. (1947) dans une grammaire de la langue kwakiutl. Il a ensuite été repris par Jakobson (1957/1963) dans son article sur les embrayeurs et les catégories verbales du russe. Dans sa traduction française de l’article de Jakobson, N. Ruwet a utilisé le terme de « testimonial ». Pour un aperçu historique, et la distinction entre médiativité et évidentialité, voir Guentchéva (2014). Sur cet emploi du Conditionnel, voir par ex. Kronning (2005, 2012), Dendale (2018), van de Weerd (2018). Dans beaucoup de travaux opposant Conditionnels temporels vs modaux, les emplois purement médiatifs sont considérés comme un type d’emploi modal (e.g. Haillet 1998), ce qui ne va pas sans créer une certaine confusion.

[91]   L. Clédat déjà avait identifié ces deux fonctions modales, qu’il appelait respectivement « condition de possibilité » (= conditionnant) et « possibilité conditionnelle » (= conditionné) (Clédat 1905 : 235-239).

[92]   Pour une étude des problèmes posés par les Conditionnels dans les questions, voir Haillet (2001) ainsi que les Chap. 5 et 6 de Haillet (2002).

[93]   Abouda (2001) analyse l’atténuation comme dérivée de la suspension de la prise en charge. Cf. également Haillet (2002).

[94]   Haillet (2002 : pp. 69 et suiv.) note pertinemment que les linguistes ont parfois recours à cette fonction d’atténuation de façon inconsidérée, par exemple pour décrire une requête commençant par j’aimerais..., expression qu’on peut difficilement considérer comme une version atténuée de j’aime...

[95]   Elles diffèrent peut-être du point de vue du « niveau de langue », mais cette dimension ne nous concerne pas ici.

[96]   Sur ce qui différentie ces deux temps verbaux, voir également Sarrazin & Azzopardi (2012), Bres (2012), et Bres, Diwersy & Luxardo (2018).


 

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